Rossana Orlandi, le choix du sens

Lors de son incursion dans la mode, elle se souvient d’avoir vu passer des créateurs aussi géniaux et flamboyants que Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler ou Jean-Charles de Castelbajac. C’est en effet à travers une carrière éblouissante de plus de 20 ans dans la mode dont elle se remémore avec beaucoup d’enthousiasme qu’elle a forgé sa sensibilité unique. Mais c’est un besoin de sens, de profondeur, et de connexion qui l'a poussée à opérer une métamorphose personnelle et professionnelle. La transformation, dans son cas, est bien plus qu’un simple changement de domaine, c’est un virage fondamental, qui l’a faite passer de la frénésie à la réflexion, du glamour à l’authenticité.

L’histoire de Rossana Orlandi commence donc par cet amour sans bornes qu’elle voue à la mode. Elle se souvient de ses premières années dans l’industrie, où l’énergie était palpable, et où chaque créateur avait une identité forte, une vision personnelle. « C’était un moment fabuleux », se souvient-elle avec enthousiasme. « Il y avait une synergie incroyable. Les créateurs rivalisaient de créativité. » Elle a vécu les années d’or de la mode, passant du temps à Paris, au cœur des défilés, des ateliers où les rêves devenaient progressivement réalité. De Castelbajac à Mugler, en passant par Jean-Paul Gaultier, elle a côtoyé les figures majeures de l’époque. Mais très vite, une réalité plus dure s’impose. Ce qu’elle décrit aujourd’hui comme une « atmosphère de plus en plus nerveuse et complexe » a fini par lui faire interroger sa passion. Le monde de la mode, autrefois synonyme de liberté créative, devenait un enchevêtrement de contraintes logistiques, d’échéances trop rapprochées, et de collections qui se succédaient à une vitesse vertigineuse. « Il n’y avait plus de place pour l’émotion, » confie-t-elle. « Le business est devenu trop intrusif. » Le tournant est radical : Rossana Orlandi quitte la mode pour s’investir dans le design.

« LE DESIGN, C’EST UN TRAVAIL CONCEPTUEL,SÉRIEUX. ON Y MET TOUT SON COEUR ET SES CONVICTIONS »

Derrière cette décision se cache une quête de sens profonde. « Le design, c’est un travail conceptuel, sérieux. On y met tout son cœur et ses convictions. » Un monde où, contrairement à la mode, il n’y a pas cette pression des collections incessantes. La création y est à son sens plus épanouie et portée par une vision plus large, plus universelle et consciente.

Lorsqu’elle évoque le design aujourd’hui, Rossana Orlandi se fait aussi l’avocate de la responsabilité. Un aspect qu’elle intègre à chacun de ses projets et qu’elle a porté sur le devant de la scène avec sa fille Nicoletta dès 2017, avec le lancement de leur projet « GUILTLESSPLASTIC » puis dans la foulée en 2019 la création du RoPlastic Prize. L’histoire de ce projet nous ramène plusieurs années en arrière. Rossana était avec sa fille Nicoletta et les enfants de cette dernière sur une plage en Sardaigne. On est en octobre, les enfants qui ont l’habitude de jouer et de se baigner sur cette plage ne la reconnaisse pas. En effet hors saison la plage n’est pas nettoyée comme l’été et des morceaux de plastique jonchent le sable. C’est étrangement assez beau et même graphique car ce sont des morceaux de plastique de toutes les couleurs léchés par les vagues. Toute la famille joue avec ces pièces de construction improvisées et un concours est même organisé au sein du groupe. Puis c’est le moment de partir. Les morceaux de plastique sont ramassés et entreposés dans le coffre de la voiture sauf que personne n’accepte de les reprendre.

C’est suite à cet évènement très concret que Rossana et sa fille décident d’agir. Pour elles, la durabilité ne doit pas être un simple mot à la mode. « Tout est devenu durable, tout est vert, mais c’est souvent du blabla. » Si elles ne se revendiquent pas comme des écologistes au sens strict, elles défendent une vision du design dans laquelle chaque création, chaque matériau, chaque processus de fabrication doit être réfléchi, anticipé, et pensé pour l’avenir.

« TOUT EST DEVENU DURABLE, TOUT EST VERT, MAIS C’EST SOUVENT DU BLABLA. »

Rossana critique vertement la mode du « sans plastique », qu’elle considère comme une simplification de la question. « Le problème, ce n’est pas le plastique en soi, c’est notre mauvaise gestion de cette ressource. » De fait, leur engagement va bien au-delà des tendances. Elles préfèrent promouvoir des solutions concrètes. La collection d’objets réalisés à partir de plastique recyclé, qui a vu le jour sous leur impulsion, a été une manière de démontrer que la transformation pouvait devenir source de beauté. Aujourd’hui, alors que le recyclage du plastique devient de plus en plus difficile, elles s’intéressent à des matériaux comme l’aluminium et à toutes les techniques innovantes qui permettent de redonner une seconde vie aux objets. Un projet pour lequel Nicoletta tout particulièrement continue à voyager dans le monde entier et à travailler pour maintenir le contact avec les différents acteurs et créer des liens entre ceux qui s’engagent.

Et leur vision va encore plus loin : « Nous travaillons actuellement sur un projet avec des designers de toute l’Europe qui utilisent des arbres abattus lors des inondations pour créer des pièces de design. Tout fait sens, même les branches sont réutilisées. » Nicoletta précise d’ailleurs que selon l’endroit où l’on se trouve dans le monde la notion de déchets n’est pas la même. Certaines régions doivent trouver des solutions pour leur déchets non pas plastiques mais végétaux. Il n’y a pas qu’une façon de voir il faut sans cesse élargir sa vision, rester créatif et en mouvement. Un mantra qui pourrait sans problème s’appliquer aux deux femmes à l’énergie ébouriffante.

Loin de se contenter de prêcher des valeurs, Rossana Orlandi et Nicoletta sont activement impliquées dans le soutien aux jeunes créateurs. Récemment plutôt que de distribuer des prix, elles ont trouvé plus utile de concentrer leur énergie à soutenir et accompagner les jeunes talents dans leurs projets. « Cette année, nous avons décidé de ne plus donner de prix, mais de soutenir directement les créateurs et de promouvoir leurs œuvres. » Ce changement de cap est un choix qu’elles défendent avec ferveur. La durabilité, pour elles, ne se résume pas à des gestes symboliques mais à un engagement quotidien.

Pour Rossana, l’important est de démontrer que le changement est possible, mais que celui-ci doit se construire dans un mouvement continu. Le recyclage, l’usage raisonné des ressources, et la volonté de créer un impact positif font partie intégrante de son ADN créatif.

« IL FAUT COMMENCER PAR DE PETITES CHOSES »

De la mode effervescente à un design plus réfléchi, Rossana Orlandi a su prendre le temps de s’interroger, de se réinventer, et surtout de questionner les normes et les attentes du secteur. Son engagement avec sa fille pour la durabilité, sa lutte contre la surconsommation et son soutien sans faille aux jeunes talents font d’elle une figure unique, une référence dans le monde du design contemporain.

Dans un monde où la vitesse semble être devenue une fin en soi, Rossana Orlandi rappelle que la création est un art où il importe de prendre son temps, de réfléchir à l’impact de nos choix, et de privilégier l’essentiel. « Il faut commencer par de petites choses », affirme-t-elle, convaincue que chaque geste compte. Une philosophie qui, au fond, nous invite à repenser notre manière de vivre, de créer, et d’agir.

Rossana Orlandi –Galeriste designer,  Milan 

Mots: Audrey Demarre 

Photos: Annica Eklund & repost Rossana Orlandi 

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