Léonore Mercier, Good Vibrations

L'artiste protéiforme déploie sa singularité au rythme de ses créations sonores, visuelles et symphoniques, le tout avec radicalité.

Nous quittons cette terrasse du 20e arrondissement lieu de notre rencontre avec Léonore Mercier en répétant ce mot un peu intrépide de « vibration ».

VIBRATION. Nom féminin (bas latin vibratio, du latin classique vibrare, vibrer)

  1. Mouvement, état de ce qui vibre ; effet qui en résulte (son et ébranlement).
  2. Oscillation de fréquence élevée. Vibrations lumineuses, sonores, électromagnétiques. 

Pour les amatrices de signes et de synchronicités dont nous faisons partie, le dictionnaire est un haut lieu de pèlerinage. Toute notre rencontre s’y trouve en effet là synthétisée dans cette formulation mystérieuse et hautement poétique : « son et ébranlement ». 

Compositrice, réalisatrice, plasticienne, Léonore ne se déplace pas avec une liste de ses projets en cours elle les incarne, les vit, les déroule jusque dans ses yeux qui se ferment dès qu’elle veut convoquer des souvenirs auditifs, jusque dans ses mains qui dansent littéralement à l’évocation de certains sons.

Elle dit d’ailleurs qu’elle se voit comme une sculptrice, dégageant progressivement dans l’espace par élagages successifs, les mélodies et autres compositions sonores qui l’habitent. Le mouvement serait donc le prolongement immédiat et direct du son et comme sa raison d’être. 

Léonore aime ainsi proposer des expériences qui tiennent plutôt de l’immersion et comme un autre espace-temps : Baptême, un voyage en forme de chute merveilleuse entre le ciel et la mer en son binaural ; l’installation Damassama un amphithéâtre de 24 bols tibétains disposés en fonction des chakras et déclenchés grâce à un capteur qui décèle les mouvements du spectateur devenu chef d’orchestre ou encore le court-métrage Sauvage, où l’on suit au plus près les pérégrinations d’un troupeau de chevaux en Galice capturés et réunis dans une arène pour la pratique ancestrale du rasage des bêtes (la rapa das bestas). 

Dans cet autre projet qu’est le Synesthésium — un dôme géant sur lequel sont accrochés enceintes et vidéos projecteurs pour une immersion 3D dans le son et la lumière destinée à une soixantaine de spectateurs allongés sur des transats — Léonore à son pupitre « lance des sons dans l’espace » tandis qu’Arthur H son compagnon lit des poèmes.

Ayant grandi dans un milieu artistique j’ai hésité à embrasser cette carrière, consciente des défis que cela représente.

Entre ciel et terre, entre bête et homme, entre chorégraphie et symphonie fantastique, entre technique et instinct, Léonore voyage avec aisance entre les mondes, entre les supports, entre les médiums. L’important restant toujours pour elle semble-t-il de créer une fluidité entre des univers parfois cloisonnés, de convoquer d’autres sens à la rescousse pour susciter des sensations inédites et leur corollaire d’émotions. Elle poursuit dans un premier temps des études scientifiques et se destine à la médecine. « Ayant grandi dans un milieu artistique j’ai hésité à embrasser cette carrière, consciente des défis que cela représente. » Néanmoins assez rapidement elle doit se rendre à l’évidence, le son l’appelle en quelque sorte. Ses projets incluent néanmoins toujours une phase de recherches poussées tant du point de vue scientifique que psychologique. La dimension technique ainsi que les innovations y sont partout présentes.

Il y a de la spiritualité et presque une dimension mystique dans sa démarche, dans la façon tout à fait personnelle qu’elle a de composer le monde, de le donner à vivre autrement avec cette matière première qu’est le son. La terrasse qui abrite notre conversation devient ainsi pendant quelque temps le théâtre d’une étrange pièce. Un bébé probablement affamé donne de la voix en arrière-plan, les énormes fûts de bière roulés dans un fracas tonitruant créent des sortes de nappes de sons qu’il me semble entendre pour la première fois dans leur incongruité et leur écrasante présence. Léonore entend les images, danse les vibrations car « tout peut être musique » et raconte quoiqu’un peu plus viscéralement peut-être ce qu’effleurent les mots. À cet égard elle travaille toutes les fréquences que l’oreille peut entendre celles de la nature et celles composées par les hommes. Pour elle néanmoins la mélodie parfaite serait celle des bélugas « leur chant est complet, agréable, on y trouve du grain, des aigus, c’est très varié et éclectique. »

Alors que tout dans sa démarche va dans le sens d’un respect profond et comme inné du monde vivant, Léonore nous avoue rester parfois dans une incrédulité face à l’ampleur de ce qui se joue. Comme si à l’angoisse qu’impose partout les effets du réchauffement climatique elle souhaitait continuer à répondre par le mouvement, par le chant, par l’ampleur et le caractère protéiforme de son champ artistique. En proposant notamment ces espaces refuges qui célèbrent encore et toujours la beauté de la vie et sa surprenante capacité à se perpétuer. En invitant aussi à toujours plus de réflexion car la situation est toujours bien plus complexe et moins manichéenne que ce que l’on veut nous présenter. Dans le film Sauvage au titre profondément ambivalent, Léonore précise que ceux qui rasent les chevaux sans autre but qu’une certaine beauté du geste sont aussi ceux qui par ailleurs les protègent et veillent farouchement sur leur indépendance. Il s’agit de toujours continuer à s’interroger, de rester dans une vibration aux échos incessants.

Ses futurs projets incluent des courts et longs métrages de fiction mais aussi des documentaires. Là encore qu’elle parte d’une fable à la lisière du fantastique ou qu’elle ancre son récit dans la matérialité d’un lieu, la vie d’un être, le but sera toujours d’opérer des glissement subtils et oniriques entre les réalités, de créer de toutes pièces des strates de sens pour proposer d’autres façons de voir, de sentir, d’entendre le monde et d’autres angles pour l’interpréter. La frontière entre réel et imaginaire a peu de sens pour qui s’emploie perpétuellement à créer des ponts entre les mondes.

Ebranlées, nous sommes par notre rencontre comme le prévoyait le dictionnaire. Celui des synonymes nous informe que nous pourrions aussi bien dire « émue », « touchée », « remuée », « fragilisée » et « secouée ». Le monde nous apparait soudain un peu plus vaste, un peu plus beau aussi depuis que Léonore nous l’a désigné du bout de sa baguette (de magicienne ou de chef d’orchestre) on ne tient plus à savoir.

LEONORE MERCIER

Compositrice, réalisatrice et plasticienne, une approche transversale entre ces différents médiums.

Pour en savoir plus

Mots : Audrey Demarre
Photographies : Portrait @Alizée Bauer . Léonore Mercier

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“Damassama”: un amphithéâtre de 24 bols tibétains
Bol tibétain. “Damassama”
Palais des Ducs Dijon. “Damassama”
“Synesthésium”
Pièce en son binaural. “Baptème”
Court Court métrage. “Sauvage”
Les déambulations libres des chevaux sauvages de Galice.

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