La vie dans les plis de Lou Leygnac
Lou Leygnac, de la mode au textile, imagine des concepts uniques, où chaque détail est pensé pour conjuguer élégance, éthique et durabilité.
«Quand on regarde quelqu’un on n’en voit que la moitié.»
Elle nous étonne d’abord par son calme, sa sérénité, sa détermination et le sens qu’elle met en toute chose. Plus tard, bien plus tard on découvrira qu’elle est au moins aussi fougueuse, sémillante, imprévisible et téméraire. « Quand on regarde quelqu’un on n’en voit que la moitié » dit le proverbe. Qui aurait pu deviner que cette moitié manquante viendrait à ce point épaissir notre écheveau.
Depuis son Bac Arts appliqués jusqu’à son BTS design de mode et enfin son DSAA en design textile, le chemin se resserre progressivement autour du fil pour Lou Leygnac ou plus généralement autour du textile. Prendre le fil pour guide c’est, bien souvent, s’embarquer sans boussole pour le suivre dans tous les méandres auxquels il aura décidé de nous convier. « Très vite j’ai voulu compléter ma formation par du design textile pour approfondir la matière. Cela m’intéressait de créer cette matière première à la base des vêtements et pas simplement de venir m’en servir pour en extraire mes formes et mes volumes. »
«Se laisser guider par l’esprit des lieux, retrouver leurs couleurs, leurs textures, la faune et la flore qui les composent, convertir le tout en fibres »
Si on doit raconter une histoire tout doit avoir du sens à commencer par les mots dont on se sert pour la conter pas à pas.
Ainsi une première expérience professionnelle de designer textile chez Swildens en étroite relation avec Juliette Swildens fondatrice de la marque, lui permettra de mettre en pratique ses incursions récurrentes au cœur des fibres. Il s’agira de convoquer le monde amérindien à travers la destinée manifeste d’une jeune Yepa (« princesse de l’hiver » en langue amérindienne). Une collection en forme de conte mise en scène dans le célèbre concept store Merci, où repartant de matières comme laines, cotons et peaux, Lou Leygnac et les équipes de Swildens créeront peu à peu un univers complet comprenant décors, objets, coiffes et vêtements où les imprimés alterneront avec des inclusions de broderies, tissages, perles et plumes. C’est encore cela qui plaît le plus à Lou : « se laisser guider par l’esprit des lieux, retrouver leurs couleurs, leurs textures, la faune et la flore qui les composent, convertir le tout en fibres » et fils puis patiemment à force de tissages, nouages, crochetages, broderies et tricotages en tous genres reconstituer une histoire.
Si l’aventure Swildens chez Merci la conduit à évoquer l’Ouest américain rien ne vaut le terrain et la route en l’occurrence. Alors c’est décidé Lou va partir pendant plusieurs mois et choisir le Brésil. Là de fil en aiguille et de rencontre en rencontre elle croise une tisseuse en pleine forêt amazonienne. Sur une trame, celle-ci enroule des fragments de vêtements dans l’esprit des lirettes, parmi lesquels des maillots de foot qui deviendront ainsi des pièces baroques et uniques. C’est un déclic pour Lou Leygnac qui voit dans ce projet une façon de raconter des histoires qui correspondent en tous points à la démarche qu’elle affectionne. En l’occurrence des créations qui recyclent des pièces destinées à être jetées et hissent haut leurs couleurs et l’âme des lieux.
Elle rentre de voyage puis très vite repart pour le Maroc où elle retrouvera une autre technique de recyclage de tissus dans le Moyen Atlas grâce aux emblématiques tapis noués boucherouite. Quand la marque American Vintage se retrouve avec un lot de robes défectueuses en quatre couleurs, Lou a l’idée de les recycler en créant des modules de tableaux colorés qui serviront de motifs et permettront de produire une série d’une vingtaine de tapis.
Avec la pandémie l’idée de s’éloigner de la vie citadine qu’elle mène et de se rapprocher de la nature la séduit. Elle quitte ainsi Paris pour la Dordogne où elle trouvera son refuge : une maison qu’elle restaurera intégralement et puis un jardin fleuri et un potager. Elle plante, récolte, sème, cueille, glisse les mains dans la terre et commence à entrevoir dans ces gestes des liens inédits avec son travail créatif.
Sa maison devient alors un véritable asile qui rassemble tous ses souvenirs de voyage et devient ainsi paradoxalement son passeport pour le monde entier. Lieu d’expérimentation par excellence du dehors jusqu’au dedans, Lou y conviera des amis artistes et artisans, y organisera des marchés de créateurs, des retraites et même une raclette géante pour créer des liens dans le village.
Lou a trouvé sa voie celle qui lui fait créer des mondes, des objets, des collections avec tout ce qui lui tombe entre les mains et que les gens ne regardent même pas. Les déchets horticoles, les vieux stocks de laine, les papiers griffonnés tout reprend vie et se réinvente entre ses doigts. Elle a une soif insatiable d’apprendre tout en véritable alchimiste de la matière : la teinture végétale, la vannerie, le tricot machine, la reliure. Rien ne se perd, tout se crée et se transforme.
En 2019 elle fait une résidence de recherche sur la laine en Corse. L’enjeu étant de trouver des moyens d’utiliser cette laine splendide mais inadaptée aux vêtements. Lou produira alors une série de rideaux tissés uniques. Des produits et des idées dont elle a livré un superbe compte-rendu à la dernière France Design week, la volonté de relancer la filière lainière étant devenue une sorte de fil rouge pour elle.
À l’arrivée entre les plis, au cœur des fibres, et alors qu’elle tisse partout des liens c’est finalement un supplément d’âme que Lou a choisi de glisser dans sa trame.
Mots : Audrey Demarre
Photos: Portrait Alizée Bauer pour hum média
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