Lindsay Girvan, revenir à ses moutons
Pour certains il y a souvent un déclic qui leur fait prendre conscience de l’urgence de remettre du sens dans leur vie, de replacer notamment la nature et notre bonne vieille planète au cœur de leurs préoccupations. Pour d’autres et c’est indubitablement le cas de Lindsay Girvan, cette conscience est née avec elle et semble ne jamais l’avoir quittée. Rencontre avec celle qui n’a cessé de revenir à ses moutons.
Élevée en Angleterre par deux parents écossais, elle a évolué au milieu des étoffes, des tapis, des rideaux et autres pièces textiles exceptionnelles que sa mère collectionnait. Une mère qu’elle a souvent vue derrière sa machine à coudre notamment pour lui confectionner ses habits. À 21 ans quand d’autres rêvent de conduire leur propre voiture, le choix de Lindsay se portera sur une machine à coudre qui contrairement à tous les trésors de mécaniques que l’on aurait pu lui offrir ne l’a jamais laissée tomber depuis. Une anecdote qui en dit long sur ce fil transmis de mère en fille.
Au moment de choisir sa voie elle opte pour un cursus en Sciences avec l’envie pourquoi pas de se diriger à terme vers une carrière de médecin. Elle revient à ses origines en choisissant d’étudier en Écosse et c’est là qu’elle rencontre une femme Lesley Robertson que tout le monde appelle Gurkin Ran et dont elle ignore encore qu’elle va changer le cours de sa vie. En effet cette dernière dirigeait un lieu unique et improbable sur l’île de Skye, en l’occurrence une toute petite échoppe nommé Ragamuffin dont le moindre centimètre carré était entièrement dédié au textile et à la laine. Les articles venaient de toute l’Ecosse et étaient entièrement fabriqués ou tricotés main, un haut lieu de perdition pour tous les amateurs et autres passionnés de ses trésors patrimoniaux. C’est ainsi donc que Lindsay profitant de ses vacances scolaires prendra le ferry pour accoster sur l’île de Skye où l’attendent les clients. Des voyages qui dureront presque 8 ans et se complexifieront encore lorsque la boutique se doublera d’une autre à Édimbourg. Exit donc les études de médecine, Lindsay retombe dans la marmite de tissus familiale ! Et puis aussi elle voyage mais cette fois hors d’Écosse, en Égypte, en Israël et en Asie du sud-est.
Lorsqu’elle tombe enceinte la première chose que Lindsay réalise (avons-nous précisé qu’elle est infiniment pragmatique ?) c’est qu’il lui faudra de bons fruits et de bons légumes pour élever son futur fils. Elle va alors créer « Grow Wild » littéralement (devenir sauvage) une sorte d’AMAP avant l’heure qui distribue des paniers de légumes et autres produits biologiques bios et locaux dans tout le centre de l’Écosse. Une initiative qui a pris l’apparence d’un magasin agricole qui 26 ans plus tard prospère toujours.
On ne sait pas si son fils a poussé aussi vite que ses salades ou ses potimarrons mais ce que l’on sait c’est qu’elle rencontre parmi les fermiers partenaires celui qui devait une fois de plus changer un peu et même beaucoup son existence. Il s’agit de Ben qui à la suite de divers coups du sort se retrouve à élever seul ses trois enfants à Bonnytoun Farm, la ferme familiale qui l’a vu naître. Lindsay et Ben d’abord amis finissent par devenir plus que ça et Lindsay décide de s’installer à la ferme avec son fils.
Résumons : une ferme de 300 hectares, 4 enfants, des chiens, un nombre assez conséquent de tonnes de fruits et légumes, des moutons, des cochons, des chevaux. On imagine que la vie de Lindsay ait pu être bien remplie.
Et pourtant au cours d’une conversation avec une voisine éleveuse de moutons, elle découvre le prix d’achat de la laine de mouton et c’est un choc. 7,5 livres sterling pour le chargement complet de sa camionnette qui ne remboursent même pas le prix de l’essence pour l’acheminement. Elle décide de rendre sa superbe à ce matériau naturel, disponible, accessible et surtout magnifique ! Alors elle apprend à tisser, à filer et à tricoter. C’est la création de la marque Lindsay Girvan Future Vintage. Des pièces classiques (tuniques, écharpes, bonnets, mitaines, pulls ou gilets) et totalement indémodables. Nous sommes sur des séries limitées par excellence puisque chaque couleur est tout simplement guidée par le troupeau de 200 moutons shetland qui vit sur la ferme. Un troupeau qui se déplace au fil des saisons sur différents emplacements de la ferme où il trouve toujours de la bonne herbe à brouter. Le nuancier est simple : des noirs, des gris, des blancs cassés ou le mélange de ses laines qui donnent des teintes chinées. Puis quand il n’y a plus de laine c’est tout simplement la fin de la production et de la collection.
Les étapes sont toujours les mêmes : le mouton est tondu par un professionnel chevronné ce qui produit la toison (the fleece). Cette toison est grossièrement nettoyée puis passée dans des bains chauds successifs qui permettent d’enlever la lanoline. Puis c’est le cardage sur ses grandes roues à petits piquots. La laine est filée non loin puis revient à la ferme sous la forme d’une laine douce et le voyage se poursuit alors sur d’anciennes machines suisses de la marque Dubied. Les seules à qui Lindsay décide de confier sa laine. Difficile de faire plus locale, plus éthique, plus pertinent aussi. Le reste de laine sert d’ailleurs d’isolant pour les murs de la ferme. Au moindre accroc dans votre pull il suffit de le réparer
Lindsay se souvient en riant que son père un jour que désœuvrée elle lui confiait ne pas savoir pour quelle voie opter il lui avait répondu « élève des moutons, tu seras tellement libre. » À quelques années près il aurait pu voir sa prédiction aboutir car en effet ce nouveau rôle pour Lindsay ressemble à un destin.
Elle peut décrire chacun des moutons de son troupeau, déroulant le fil de son histoire, son nom, sa personnalité. Votre écharpe, vos chaussettes, ou votre gilet ont donc une existence qui les précède et qu’elle n’hésitera pas à vous raconter. Chez Lindsay décidément les moutons sont tout sauf des moutons.
Mots : Audrey Demarre
Photos: (c)Future Vintage
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