Laura Ghazal, Sérieusement drôle

Passée par le stand-up avant de se tourner vers l’écriture et la réalisation, Laura Ghazal rit pour ne pas renoncer. Et ses séries, drôles et lucides, désarment par leur tendresse bien plus que par la moquerie.

Trois ans de stand-up, ça laisse des traces. Laura Ghazal s’en est servi pour construire un ton bien à elle : caustique, mais sans agressivité. Quand elle parle d’écologie, ce n’est jamais pour donner des leçons. Elle préfère tendre la main plutôt que pointer du doigt . A l’heure où le dialogue s’effrite entre les convaincus, les sceptiques, les épuisés, vouloir s’adresser à tous paraît presque naïf. Parler à tous, vraiment ? Sans moralisme, sans simplification, sans posture ? Pourtant, prendre un café avec Laura Ghazal, c’est y croire à nouveau. Si le rire peut rouvrir la discussion, alors elle rit. Non pas pour minimiser, mais pour faire tomber les barrières. Pour dire : « Venez, on en parle. » Elle s’adresse à eux, à nous, à tous, avec tendresse et autodérision.

« Si tu ne te moques pas de toi, tu ne peux pas demander aux gens de rire avec toi. Sinon, ils ont l’impression qu’on rit d’eux. » 

Aujourd’hui, la parisienne écrit et réalise des séries courtes diffusées sur TV5 Monde Plus. Elle a aussi signé des chroniques pour le média So Good, où elle utilisait déjà l’humour pour parler d’écologie, mais aussi pour sensibiliser aux questions féministes.

« J’ai grandi dans les années 80. On nous disait que réussir, c’était avoir une voiture, une piscine, un week-end à Barcelone. Et puis un jour, on nous demande de tout déconstruire. C’est violent.» Son humour vient de là. D’un tiraillement générationnel, d’une fatigue douce, d’une forme d’éco- anxiété qu’elle préfère traiter à coups d’autodérision. « Je ris pour ne pas pleurer. » Et ça fonctionne. Dans ses vidéos, une influenceuse écolo par opportunisme devient grotesque, des skieurs de 2080 font des bonshommes de boue.

Son inspiration, Laura la puise dans sa propre vie. Bébé Carbone, par exemple, est né de son expérience de la maternité. Elle est maman. Elle est inquiète. Mais elle veut continuer à rire. « Laisse-moi choisir par quoi je commence. » Cette phrase, entendue mille fois, est devenue sa matière. D’ailleurs, le mot générations, au pluriel, n’est pas anodin. Il structure sa vision. Il dit l’envie de ne pas pointer du doigt, mais d’enlacer large. Il n’y a pas d’un côté les “vieux responsables” et de l’autre les “jeunes éveillés”. Ce serait trop simple. Ses personnages sont complexes, ambivalents, humains. Ces satires courtes, drôles et percutantes deviennent des supports, des outils. À l’Académie du Climat, à l’école, en projection-débat, le rire suscite des discussions. Cette complémentarité ouvre un espace sensible où l’humour devient autant un vecteur de conscience qu’un refuge personnel. «Moi, je ris pour ne pas pleurer. J’ai connu l’éco-anxiété. C’est ma manière à moi de ne pas sombrer. » L’humour comme rempart. Une réponse personnelle à un vertige collectif.

Certains lui ont dit qu’ils sortaient de ses épisodes un peu déprimés. Elle répond : « Alors c’est que j’ai réussi. Sinon, ça ne sert à rien. » Tout l’inverse d’une satire facile. Elle le répète : « Il n’y a pas les bons et les méchants. » À la montagne, pour écrire Là-haut sur la montagne, elle a passé du temps avec les professionnels locaux, sans caricature ni ski-bashing. La série a pu voir le jour grâce à la station de Chamrousse, convaincue qu’on pouvait parler de changement climatique sans condamner. « Ce n’est pas contre eux. Je ne dis pas qu’il faut tout arrêter. Je dis : soyons lucides. » Là encore, la nuance prévaut. Le récit est factuel, non accusatoire. La montagne est aimée, mais regardée en face.

Rire non pour détourner le regard, mais pour continuer à le porter. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard, si elle nous recommande comme livre La merditude des choses, de Dimitri Verhulst. Un roman drôle mais tragique. Comme un écho à son propre travail qui réussit à être un peu tout à la fois.

« Chaque fois qu’un spectateur me dit que ça l’a fait réfléchir, je gagne un an d’espérance de vie. »  

Après deux programmes courts, elle se remet à l’écriture. Elle confie être en développement sur plusieurs projets de plus grande envergure : une série en 8×30 minutes, et un long-métrage. L’humour reste précieux, mais elle a conscience de ne pas parvenir à tout tourner en dérision. Là- haut sur la montagne se déroule en 2080, mais dans une esthétique des eighties. Quand on lui demande comment elle imagine vraiment 2080, le rire nerveux ne peut être évité. Laura parle de peur, d’une inquiétude sourde. D’autant que Laura fait aussi du drame. Elle a réalisé un court- métrage sur le Moyen-Orient, sans détour, sans rire. Elle porte en elle des blessures qui ne se prêtent pas encore au comique.

Mais alors, face à cette lucidité, comment fait-elle pour ne pas finir par perdre ce sens de l’humour ? Comment garder l’inspiration et le désir de rire ? « Chaque fois qu’un spectateur me dit que ça l’a fait réfléchir, je gagne un an d’espérance de vie. » Alors Laura continue, de nous faire rire épisode après épisode, pour mieux nous tendre la main. Sans bousculer. Sans s’énerver. En regardant la catastrophe bien en face, mais avec tendresse. Face à l’absurdité des situations, on rit. Puis, on s’interroge. Quelque chose entre la claque et la caresse. Assez léger pour passer les défenses, assez piquant pour qu’on s’en souvienne. On y repense, peut-être même plus que si l’on avait pleuré.

LAURA GHAZAL

Scénariste et réalisatrice
Ex-stand-uppeuse
Traits : Lucide, tendre, drôle, engagée

ŒUVRES

Séries & fictions TV : Générations Carbone et Là-haut sur la montagne

Style : Intime, décalé, politique sans slogans

Mots : Carla Spodek
Photo : Alizée Bauer pour Hum Média 

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Laura Ghazal par Alizée Bauer pour hum média
Tantôt satiriques, tantôt poétiques, « Générations carbone » met en scène les enjeux climatiques et écologiques avec pour ambition de renouer le lien entre les générations. Boomers, millennials, génération Z... On est tous dans le même bateau ! (c) TV5monde
En janvier, dans une station de haute altitude, un groupe de touristes vient s'adonner aux joies des sports d'hiver. Mais on est en 2080 et il n'y a plus un gramme de neige...(c) Gabriel Banvillet

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