Vipulan Puvaneswaran, la voix des pensées du vivant

Dans le documentaire de Cyril Dion sorti en 2021, Animal, Vipulan Puvaneswaran est l’un des deux visages portant le film. À l’écran, il rencontre des activistes, des scientifiques et des penseurs. Quatre années plus tard, on retrouve le jeune Vipulan, devenu militant aguerri et plus que jamais favorable à un changement de paradigme. 

En 2021, dans Animal, on y découvre et rencontre une multitude de parcours, autant de voix qui nous invitent à repenser notre relation au vivant. Mais ce qui frappe, c’est ce qu’il dégage : une intelligence tranquille, une curiosité radicale. Pas de grands discours, juste des questions franches, posées les yeux dans les yeux. Pourquoi détruisons-nous ce qui nous fait vivre ? Aujourd’hui, avril 2025, l’heure n’est pas au bilan mais à la rédaction, on mourrait d’envie de connaître la suite de son histoire, son parcours… Celui d’un militant pas comme les autres, Vipulan Puvaneswaran.

Une question le taraude : « y aura-t-il assez d’espace pour le contenu, les idées ? » Ce qu’il craint, ce n’est pas d’être résumé au sein d’un portrait. C’est que les idées passent à la trappe. Cet activiste âgé aujourd’hui de 21 ans, écolo et antiraciste met en garde contre les raccourcis. Il nourrit à présent sa manière de militer en suivant un master d’agroécologie à AgroParisTech, ainsi que des cours de sciences sociales à l’EHESS. La force et légèreté tranquille habitent sa voix douce, ses gestes sont mesurés. On le sent plus à l’aise dans les idées que dans sa propre mise en scène. Un style vestimentaire simple, reflète une personnalité discrète, centrée sur l’essentiel de son engagement. Pas de fioritures. À la fameuse question du déclic, Vipulan est clair : « il n’y en a pas eu. » Il nous invite plutôt à abandonner cette idée selon laquelle il existerait « une forme de moment exceptionnel qui ne serait que dans le parcours de quelques-uns et quelques-unes ». Vipulan est un urbain et ne vient pas d’une famille militante. Il insiste, tout le monde peut s’engager. Les grèves pour le climat, le film, ont certes été des étapes importantes, mais pour lui, l’engagement relève d’une évolution perpétuelle. Il ne s’agit pas d’attendre des instants extraordinaires pour s’y mettre, mais de comprendre que s’engager est un processus continu.

 

L’humanité n’est pas un tout homogène. »

C’est cette évolution perpétuelle, qui lui a permis d’élargir son combat en reliant écologie et antisémitisme. Il ne s’agit pas de combats dissociables, mais bien d’une seule et même lutte. Il remet en question certaines grilles de lecture dominantes, qui postule que l’humanité tout entière serait responsable des catastrophes environnementales. Or, cette approche gomme les rapports de pouvoir et les inégalités historiques. « L’humanité n’est pas un tout homogène. » Derrière les bouleversements écologiques, il faut voir l’action de groupes sociaux spécifiques : ceux qui détiennent les moyens de production, ceux qui possèdent la terre. « L’écologie, c’est une manière d’habiter le monde. Pas seulement de préserver une nature qui serait extérieure aux humains ». Certains « environnementalistes » considèrent que la lutte contre le changement climatique serait supérieure aux autres formes de lutte. Vipulan s’y oppose, « l’écologie est une manière de penser et d’acter des relations humaines et vivantes qui seraient différentes, qui seraient libérées et libératrices ». Si l’on adopte cette définition de l’écologie, alors les luttes antiracistes y trouvent naturellement leur place.

La théorie ne suffit pas. »

Et même en adoptant une lecture plus classique de l’intersection entre écologie et justice sociale, Vipulan rappelle un fait souvent oublié : les bouleversements écologiques touchentd’abord celles et ceux qui ont le moins contribué à la crise, selon une logique profondément inégalitaire, héritée de l’histoire coloniale.

Face à ces constats, comment agir? Film, livre, actions… quelle forme est la plus puissante ? « Aucune seule. C’est la complémentarité qui compte. » Ce qu’il retient surtout du film, c’est sa capacité à toucher des publics peu sensibilisés. Grâce aux projections scolaires, il a vu comment certaines personnes, peu familières des enjeux qu’il défend, pouvaient être interpellées pour la première fois. Pour lui, c’est là toute la force du support : une première approche accessible, qui ouvre des portes.

Le film Animal l’a rendu visible. Mais ce qui l’intéresse, c’est la force collective. Ce qu’il retient du tournage, ce sont les rencontres. Il se souvient notamment de Laurent, éleveur de lapins, payé 350 euros par mois, accablé de dettes, diabolisé par des causes qu’il ne choisit pas. Le livre, Autonomies Animales, s’adresse davantage à un public déjà engagé ou curieux, et cherche à apporter une réflexion théorique plus poussée, un contenu inédit pour nourrir la pensée. Mais il insiste : « La théorie ne suffit pas. » Elle doit, selon lui, aller de pair avec un engagement pratique, sur le terrain, dans le réel.

Je ne lutte pas par optimisme ou pessimisme, mais par nécessité. »

Un livre ? Il marque une hésitation. Des lunettes aux montures fines accentuent son regard réfléchi. Finalement, il choisit Nous ne sommes pas seuls, d’Antoine Chopot et Léna Balaud, un ouvrage pour « ceux qui lisent sans être encore entrés dans ces réflexions ». Est-ce qu’il a de l’espoir ? La réponse fuse, sans détour : « Franchement, non. » Il perçoit certainement notre déception, mais ne s’y attarde pas. Il continue, « je ne lutte pas par optimisme ou pessimisme, mais par nécessité. » Pour lui, la seule manière de rester vivant dans un monde en crise, c’est de tisser des liens. « Aujourd’hui, il faut s’engager sérieusement. Parce que si on laisse tout couler, on perd. » Son avenir ? Peut-être une thèse, sur des pratiques agricoles avec des animaux, sans mise à mort. Un autre champ à explorer. Un autre lien à inventer. Il ne sait pas encore exactement. Mais il sait qu’il y a des choses à faire, ici, maintenant. Un espoir, tout de même : que ceux qui liront aient envie d’en être. Vipulan ne promet rien. Nous ressortons de cette rencontre sans illusion, mais avec l’envie d’agir. Non pas pour “sauver le monde”, mais pour y tenir, ensemble.

VIPULAN PUVANESWARAN

Militant pour le climat. Auteur du livre manifeste Autonomies animales

Regarder Animal:

Mots: Carla Spodek 

Photos portrait : Alizée Bauer  pour Hum media

Autres photos : ©Levi Meir Clancy. ©Marcus Spisk

 

Partager :

Livre manifeste, "Autonomies animales". Pour la création de sociétés paysannes vegan.
©Yann Kebbi pour Mouvement
Retour en haut