Je sens donc je suis, Isabelle Larignon

D’ores et déjà en posant ces premières lignes on sait que pour bien raconter le parcours ébouriffant d’Isabelle Larignon il faudrait opter pour la série, la saga, l’encyclopédie en plusieurs tomes ou les divers volumes de La Recherche du temps perdu et notamment celui qui se tient à « L'Ombre des jeunes filles en fleurs »...

Commençons par le commencement. Dans sa jeunesse elle se trouve une voie, celle de chanteuse lyrique. C’est cette passion qui lui fera quitter sa ville natale de La Rochelle pour entrer au Conservatoire à Paris. On l’imagine soliste mais bien qu’elle en ait les capacités elle ne se sent pas l’âme endurcie et solitaire alors aux portes de l’Opéra Bastille, elle quitte tout. Elle reprend de la voix et la plume pour se mettre au service des acteurs de la gastronomie, des vins et spiritueux, de la parfumerie et de l’hôtellerie grâce à son entreprise de communication « le dire et le goût », tout un programme. Les histoires sont belles, toutes singulières et riches. Elles ouvrent des perspectives, des horizons qu’elle a de plus en plus de mal à restituer avec la fougue qui la caractérise coincée qu’elle est au huitième étage de sa chambre de bonne sur les toits pendant des semaines, des jours et des heures avec pour toute fenêtre le petit écran de son ordinateur. Il lui manque du sens, du concret, des gestes, alors elle quitte tout une fois encore pour aller humer la terre du côté des Corbières à Cucugnan. Là sous l’impulsion d’un paysan, meunier et boulanger, elle décide de revenir à un certain essentiel : de la farine, de l’eau et du levain. Les deux mains dans la pâte, elle passe son CAP de boulangerie. 

De retour à Paris il faut bien reconnaitre que les lendemains qui chantent ne résonnent plus autant. Qu’à cela ne tienne, elle dansera maintenant. Où donc ? Mais à Buenos Aires bien sûr et rien moins que le tango s’il vous plaît ! Elle pense un temps à ouvrir un fournil milonga à Paris pour danser pendant que le pain dore… C’est finalement chez le boulanger Chambelland où elle restera six ans comme directrice générale déléguée qu’elle trouvera à boire et à danser, le temps notamment d’établir les cartes des pâtisseries gluten free. « Je cuisinais avec mon nez » dit-elle en riant rétrospectivement. Bon tout cela pourrait s’arrêter là qu’on en ressortirait déjà fort échevelés, hors d’haleine avec la sensation tenace d’avoir vécu plusieurs vies mais pour Isabelle il en manquait encore une et non des moindres.

« Sentir, humer, exhaler, parfumer, puer, cocotter, schlinguer, schmouter»

Dans ses rêves de petite fille elle avait esquissé son avenir en forme de rébus : une belle voix, des pieds pour danser et un nez ! Pas n’importe quel nez celui qui vous permet d’exercer ce métier incroyablement rare et fascinant qui consiste à créer de toutes pièces des odeurs, des parfums et dans leur sillage des histoires et des souvenirs. Ultime épisode (à ce jour) de ce destin hors normes, Isabelle envisage de s’inscrire à l’école Givaudan qui forme depuis 1946 tous les plus grands nez du monde. Ici on a entre autres créé Opium et Poison mais vous commencez à la connaitre Isabelle n’est pas du genre à se laisser enfermer et ce quel que soit le flacon. Ne sachant pas exactement si elle est trop vieille ou trop jeune pour intégrer cette institution, trop ou pas assez du sérail, elle optera finalement pour une formation chez Cinquième sens qu’elle sent plus proche de ses attentes. Car la parfumerie telle qu’on la pratique l’ennuie. Elle n’aime pas le marketing à outrance, les affiches tonitruantes dorées sur tranche, les messages caricaturaux de la femme hautement sensuelle que l’industrie placarde. Elle donnera à lire ses propres histoires en œuvrant à son échelle pour qu’elles aient toujours du sens et lui ressemblent. 

« Sentir,  humer, exhaler | parfumer, puer , cocotter, schlinguer, schmouter », ci-gît un inventaire à la Prévert de la définition du sens de l’odorat par Isabelle, le nez aux 1001 vies. 

« Il faut se rendre compte que les plus beaux concertos, les plus magnifiques symphonies ont été réalisés sur la base de sept notes. Pour créer des parfums on a à notre disposition 4 000 notes, c’est vertigineux et tellement galvanisant ! »

Lorsqu’on lui demande si elle est écolo, Isabelle qui n’est pas du genre à mâcher ses mots nous répond qu’à partir du moment où l’on produit des choses et à plus forte raison du parfum on ne peut pas être complètement écolo. Par contre sur tout ce qu’elle peut maitriser Isabelle ne transige pas elle circule partout à vélo, mange bio, local, a son compost et pratique le naturel en toute chose y compris pour sa sublime chevelure blanche qu’elle a arrêté de vouloir colorer ou masquer depuis bien longtemps. Pour ses créations c’est pareil : un alcool bio, des matières premières naturelles, une production entièrement française localisée du côté de Grasse et de Vallauris pour le conditionnement, des packagings origami sans points de colle sans plastique ou cellophane. L’impression sur le packaging a longtemps été réalisée manuellement avec des tampons. Le caractère très artisanal de ses productions incite Isabelle à produire en très petites quantités. Elle est souvent en rupture mais peu importe car cela lui garantit une maitrise sur tout ce qu’elle fait. Ses odeurs (elle préfère les odeurs aux parfums dit-elle) elle peut en parler pendant des heures. « Il faut se rendre compte que les plus beaux concertos, les plus magnifiques symphonies ont été réalisés sur la base de sept notes. Pour créer des parfums on a à notre disposition 4 000 notes, c’est vertigineux et tellement galvanisant ! »

 

À chaque senteur, son inspiration : des textes, des anecdotes, un univers graphique et bien entendu un champ olfactif. Ce qui l’intéresse ce n’est pas tant d’être identifiée comme nez ou comme marque avec des collections, des réflexes, des systématismes, non ce qui l’intéresse c’est de repartir chaque fois de zéro, de refaire ses gammes pour raconter une histoire, un « conte olfactif » comme elle les appelle si joliment. Elle nous glisse cependant avec malice qu’elle a créé des filiations entre ses différents parfums. Entre le Flocon de Johann K et Milky Dragon par exemple Isabelle a gardé la cardamome et la bergamote. Oui on comprendrait après avoir lu ces titres que vous ayez envie d’ouvrir les livres associés pour sentir la fraicheur d’un flocon de neige et l’odeur de l’encre ou en apprendre plus sur ce dragon amoureux d’une dame aux camélias alors chut plus un mot, vaporisez et laissez-vous faire Isabelle s’occupe de tout. 

ISABELLE LARIGNON

Parfums & Curiosités

@ISABELLELARIGNON

Mots : Audrey Demarre
Photographies : Alizée Bauer  

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“Parler de poésie et la poésie elle-même, consistent à parler de quelque chose qui ne se comprend. Il n’est pas possible de définir la poésie, pas plus qu’il ne l’est de définir la réalité. Mais peut-on définir la vie, l’amour, la mort, la musique, la douleur, le rêve ? Peut-on définir quoi que ce soit ? Ou tout se résume t-il finalement à une petite approche de l’insaisissable, au rêve d’une formulation de l’inaccessible ? Bashô n’était pas seulement un maître zen, c’était un des plus grands poètes de son temps. Il ne comprenait pas le zen, il ne comprenait pas la poésie, mais il les vivait, les éprouvait, les créer. […] En fin de compte, le poème n’admet ni explication ni discours parallèle.” Roberto Juarroz

 

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