Mathieu Simonet, la tête dans les nuages

L’écrivain transforme les cumulus en manifeste collectif. Objectif : inscrire les nuages dans le droit, pour mieux les soustraire à l’avidité des États et des industriels. Flou contre béton, doute contre domination.

Le nuage de lait que l’on dessine en faisant son café. Celui formé par la fumée de cigarette d’un amoureux. Un autre, auquel on parle pour faire pâlir l’absence d’un disparu. Autant de nuages convoqués par des textes d’étudiants, rappelant que ces formes à l’allure éternelle appartiennent à tous. Pendant un semestre, le nuage est devenu support d’intime et territoire poétique pour des étudiants de Sciences Po. À l’origine de cet atelier : l’écrivain et ancien avocat Mathieu Simonet, qui le décline aussi auprès d’enfants, de collégiens, d’adultes en quête de mots.

 
« Les nuages nous paraissent intouchables, mais ils ne le sont pas »
 

Mais chez Mathieu Simonet, l’enchantement mène à l’engagement. Penser aux nuages, ce n’est pas qu’une affaire de rimes. Loin d’une simple fantaisie d’écrivain, son initiative vise à poser les premières pierres d’un droit des nuages : un véritable « combat poético-politique », car « les nuages nous paraissent intouchables, mais ils ne le sont pas ». Aujourd’hui, on peut ensemencer les nuages, y injecter de l’iodure d’argent pour provoquer la pluie. Les effets sur la santé humaine et les écosystèmes de cette technique restent incertains. Les rares recherches menées ne parviennent pas à un consensus. Ce procédé est pourtant ancien, les États-Unis l’expérimentent à des fins militaires avec l’opération Popeye, visant à prolonger la saison des pluies au Vietnam pour ralentir l’armée ennemie. En France aussi, les nuages ont été manipulés.

En 1976, en pleine sécheresse, le préfet Gérard Belorgey testent l’ensemencement dans le Loir-et-Cher. Des pluies tombent alors, sauvant partiellement les récoltes, mais suscitent des tensions avec les départements voisins, qui accusent le Loir-et-Cher de « voler leurs nuages ». Aujourd’hui encore, certains gouvernements brandissent des accusations de manipulation climatique. L’Iran a ainsi accusé Israël de provoquer artificiellement des sécheresses sur son territoire, en volant des nuages. Même si ces théories sont souvent infondées, Mathieu Simonet alerte : « Le plus grave, ce n’est pas tant le vol que la manière dont on pourrait s’en servir pour manipuler les opinions publiques. Le vrai risque, c’est qu’on accuse les autres sans preuve. » Il n’existe aujourd’hui aucune réglementation internationale encadrant cette manipulation du ciel, si ce n’est une vieille convention de l’ONU de 1976, adoptée après que les Américains ont transformé les pluies en armes de guerre. Mais la France ne l’a jamais signée. D’où l’idée d’un droit des nuages, inspiré du droit des océans : un cadre juridique pour un bien commun invisible. Mathieu Simonet distingue plusieurs niveaux d’objectifs juridiques. Le plus important selon lui est de réguler ou interdire l’ensemencement des nuages à des fins privées ou militaires. Il espère également parvenir à inscrire les nuages au patrimoine mondial de l’UNESCO, ou encore de leur reconnaître une personnalité juridique, à l’image de certains fleuves.

 
«  On est souvent dans un trio clash-rapidité-certitude. J’essaie d’opposer un autre trio : douceur, lenteur et doute.  »

 

Ce n’est pas l’écologie qui, en premier lieu, a éveillé l’engagement de Mathieu, mais la force de l’imaginaire. Sa rencontre avec l’artiste Monsieur Moo, qui rêvait de faire pleuvoir un nuage pour des raisons purement artistiques, agit comme un déclencheur, « l’art c’est réaliser des rêves d’enfants avec des gestes d’adultes. » Attiré par la poésie de ce projet, il en découvre peu à peu les dimensions géopolitiques, sanitaires, et écologiques. Mais le poétique ne se réduit pas à une simple porte d’entrée vers un engagement plus technique ou juridique : il en demeure le fil conducteur. Car il oblige à repenser les formes mêmes de la lutte. « On est souvent dans un trio clash-rapidité-certitude. J’essaie d’opposer un autre trio : douceur, lenteur et doute. » Loin d’être en contradiction avec l’efficacité ou le concret, cette approche sensible est, pour lui, une réponse à l’urgence : « Il y a une urgence à contrebalancer la violence par de la douceur. En politique, on veut tout, tout de suite. Il faut prendre le temps de construire, développer un éloge du doute. » Ce trio poétique n’est pas un repli, c’est une stratégie d’impact à long terme.

 
 «  Il faut aller vers un modèle politique où tout le monde est légitime »

 

De là est née, en 2022, la Journée internationale des nuages. Chaque 29 mars, elle invite à lever les yeux, à ralentir, à observer. Des concerts, des tables rondes, des projections, des concours photos et des ateliers d’écriture sont organisés de Paris, à Meyrin en Suisse, en passant par Marseille. L’événement, à la croisée de l’art et du droit, de la contemplation et de l’action, entend rassembler. Car les nuages ont ceci de particulier : ils échappent aux appartenances. Ils ne divisent pas, ne réclament pas d’adhésion préalable, ne provoquent pas de rejet idéologique. Ils touchent tout le monde. Le droit des nuages, tel que le pense l’écrivain, n’est pas une affaire d’experts. Parce qu’ils sont insaisissables, les nuages obligent à inventer une nouvelle manière de faire société. Une manière où l’on commence par s’allonger dans l’herbe, observer, écrire, débattre. « J’ai l’intime conviction qu’il faut aller vers un modèle politique où tout le monde est légitime. Comme chacun est légitime à écrire. » L’écriture collective devient ici un levier de réflexion démocratique. 

Lors des premières éditions, 4 000 personnes ont participé à ces ateliers où l’on écrit à partir des formes vues dans le ciel. Ce sont, selon Matthieu, de véritables « pétitions poétiques ». Une professeure d’université, architecte, a ainsi proposé à ses étudiants d’imaginer des monuments au nuage. Dans un collège, des élèves ont organisé un vote sur l’interdiction de l’ensemencement des nuages. À leur échelle, ils ont statué : c’était non. Ce sont ces contributions sensibles, parfois fragiles, qui éclairent la réflexion collective. Une collégienne a même glissé à Mathieu : « Pourquoi vouloir réglementer les nuages ? Il y a déjà trop de lois. » De quoi nourrir l’un de ses principes fondamentaux : faire de la poésie une forme de veille démocratique. 

Face à la possibilité de faire pleuvoir artificiellement et aux accusations de vol de nuages, il devient urgent de penser un droit du ciel. Avec une douce conviction, Mathieu Simonet nous invite à repenser nos combats : à dire aux enfants que le droit compte, et aux politiques que la poésie est parfois une affaire sérieuse. Peut-être qu’avoir la tête dans les nuages est, en ces temps troublés, une manière plus efficace d’avoir les pieds sur terre.

 

MATHIEU SIMONET 
Avocat et Auteur

Traits : Humaniste, créatif, poète 

La fin des nuages aux éditions Julliard, 2023

Mots : Carla Spodek

 

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Photo : Alizée Bauer pour hum média
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