Chaque mois, nous demandons à un.e artiste de nous parler d’un.e de ses tableaux, photos, installations ou explorations immersives. Pour inaugurer ce nouvel exercice de style, l’artiste plasticienne Béatrice Bissara. Prônant « l’écologie de la conscience » Béatrice soulève l’Anthropocène et interroge la vision que l’homme porte sur le monde, la place qu’il occupe, et les liens qui l’unissent au cosmos.
À tonalités dominantes vertes et bleues, cette peinture nous plonge dans une vue panoramique de la forêt comme si nous étions au sol regardant le ciel ou au contraire au-dessus plongeant notre regard dans la forêt foisonnante. C’est la position que j’avais durant 3 jours et 4 nuits, assise seule au milieu d’un cercle constitué de branchages, avec comme seul protection un abri de toile, ouvert au vent, respectivement large et profond de 80 et 40 cm.
Vivre en symbiose avec la forêt et la vie qui la traverse pour se reconnecter au vivant et affronter la peur des ombres qui y planent le soir tombant, voilà le désir qui m’avait poussé à vivre cette expérience forte. Dans cette peinture comme la série dont elle fait partie, je tente de restituer la force de mon vécu, l’intensité des couleurs qui m’ont habité mais aussi la texture de la nature florissante tantôt plus rêche tantôt plus douce, proche du velours. Dans son article « Créer en vue de l’harmonie vitale» , Paul Ardenne décrit d’ailleurs mes Peaux-Terre comme « des topographies de sable et de pigment qui sont d’abord des attracteurs sensoriels…»
Dans mes peintures et bien entendu dans celle-ci, je travaille la troisième dimension et le relief par l’épaisseur de la matière, enrichie en matière organique, dans laquelle je viens graver, avec mes outils de sculpteur, pour laisser transparaitre les vibrations de la couleur posée à même la toile. Par l’aspect hypnotique des entailles, inspirées du pointillisme méthodique des aborigènes, jusqu’à celui des impressionnistes, je cherche à transmettre les vibrations de mes expériences et perceptions sensorielles et rendre compte d’une conception vibratoire et holistique du monde ou tout s’interpénètre. Oeuvre ici encore expérientielle où le mouvement et la lumière sont ma matière première autant que le sont la peinture et la couleur. Oeuvre également symbolique, la matière est comme une peau et les traces gravées permettent cette respiration entre intérieur et extérieur, comme une invitation à se reconnecter à soi.
La peinture est immersive, notre regard pénétrant la toile dépasse très vite son cadre matériel pour se plonger dans nos forêts intérieures.
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