Lola Périer, agricultrice underground

Ancienne agente d'artistes, elle cultive désormais pour les plus grands chefs parisiens. Rencontre du troisième type avec une fille qui en a dans les tripes…

« C’est terrible », répète-t-elle, le regard soucieux, lorsque l’on déambule entre les 700 plants de tomates (dont 80 variétés) aux feuilles nécrosées par le mildiou. Il faut dire que le nord de la France est englué depuis le début du printemps dans une grisaille automnale, et que la pluie et l’humidité ont facilité l’apparition du champignon… « Depuis une semaine, je ne dors plus. » Des insomnies qu’elle combat à coups de forums et d’ouvrages pour trouver des remèdes naturels et sauver ses tomates. « C’est 80 % de ma production. »

Lola Périer « jardinière de la bouffe » s’évertue « à élever » différentes variétés de tomates pour leur goût, leur couleur et leur texture « Il y a plus de 15 000 variétés recensées, en France, on n’en cultive qu’une dizaine, c’est dommage. » La « tomatophile » s’est rendue l’année dernière à Sarzana en Italie pour le festival de la tomate afin d’échanger des graines avec d’autres passionnés. « Avant, j’allais à la Mostra de Venise. Maintenant, je vais à la Mostra de la tomate. » Oui, parce qu’avant de chouchouter plantes et légumes, Lola Périer dorlotait musiciens, acteurs, réalisateurs et scénaristes.

« Je me suis retrouvée du jour au lendemain dans un milieu hyper agricole  »

Pendant 7 ans, elle est agent d’artistes « J’ai adoré ça, mais ils ont aspiré toute mon énergie. » Alors, un beau matin, elle plaque tout. Son nouveau dada ? La botanique. Elle dévore des ouvrages sur la permaculture, le potager. Un en particulier lui fait du pied : What a Plant Knows de Daniel Chamovitz « Il décrit les plantes comme des êtres sensibles qui interagissent avec la lumière, avec les couleurs, pour lui, ce n’est pas juste un truc qui pousse et meurt. » Une révélation. Après la lecture, il faut passer à la pratique. Voilà notre Parisienne qui sillonne la France de stages en formations puis en crowdfunding. « Je me suis retrouvée du jour au lendemain dans un milieu hyper agricole. » Au fil des mois, un projet mûrit : cultiver une petite surface de terre en permaculture et vendre sa production à des restaurateurs. « Jean-Martin Fortier, m’a vraiment inspiré. » 

Pour obtenir des subventions et pouvoir réaliser son projet elle passe son brevet professionnel de responsable d’exploitation agricole. Son diplôme en poche, le chemin est pourtant loin d’être un long fleuve tranquille « pas viable, truc de bobo » lui dit-on. Lola, gonflée à bloc, serre les dents et continue à croire en son projet. Patiente et déterminée, elle parvient, il y a trois ans, à dénicher un terrain de 2 000 m² à l’orée d’un bois dans les Yvelines, « un endroit pas vraiment pratique mais qui a l’avantage d’être près de Paris ».

Lola Périer a deux amours : son potager et Paris. La trentenaire aime avoir les mains dans la terre mais n’est pas prête à faire une croix sur sa vie citadine. Une double vie que certains agriculteurs de la vieille école ne comprennent pas. « Toi, tu viens du béton. », lui a-t-on déjà lâché. Elle retourne d’ailleurs à Paris deux fois par semaine pour livrer ses légumes directement aux restaurateurs avec lesquels elle travaille : du potager à l’assiette en quelques heures… « J’essaie de faire du sur-mesure pour mes clients. » 

Sa toute première livraison : un restaurant comptoir situé rue de Bretagne, au marché des Enfants Rouges. Tout s’emballe lorsque Bruno Verjus devient l’un de ses clients. Suivront d’autres chefs étoilés et une nouvelle génération de jeunes chefs. « Ce sont des gens qui me soutiennent, qui m’encouragent. » Son rêve ?  Livrer des tomates au restaurant de la Tour Eiffel « Pour la symbolique, ce serait incroyable. » Frédéric Anton, si vous nous entendez, l’appel est lancé.

« Nous devrions être reconnus d’utilité publique  »

Lola Périer, c’est une beauté au corps longiligne, cheveux et yeux noirs comme la nuit. Elle pourrait être une Perséphone des temps modernes, fille de la déesse des saisons avec un côté punk. Passionnée, elle prend le temps de nous montrer, nous expliquer sa façon de travailler « comme une orfèvre ». Elle y met une énergie qui ne semble jamais la quitter. D’où lui vient sa passion pour les légumes ? De ses vacances dans la maison familiale en Aveyron, où son père l’emmène au marché et lui apprend le « bien manger, il a joué un rôle majeur là-dedans ». De temps à autre, entre deux mots, Lola décoche son regard vers une plante au loin, comme une maman surveille son enfant au parc « Ouf, le basilic va bien. » 

On continue notre visite, on s’attarde devant le shiso (une plante asiatique) qui, lui, a mauvaise mine « C’est ma zone triste. Il faut que j’arrache tout ça. C’est vraiment dur à voir. » Elle garde quand même le sourire pour éviter les dégâts collatéraux et conjurer le sort… Le persil, les courgettes et les aubergines, eux, se portent à merveille, ses yeux se remettent à briller. Tiens, voilà Olga, son Shar-Peï de cinq ans, qui vient nous saluer. 

Quand on lui demande si parfois, sa vie d’avant lui manque, elle fait non avec la tête. Mais s’indigne du manque de soutien accordé aux agriculteurs et maraîchers « Nous voulons tous adopter des pratiques plus agroécologiques, mais sans l’aide du gouvernement, c’est difficile. Nous devrions être reconnus d’utilité publique. Je n’attends pas des sommes d’argent énormes de l’État, mais cela devrait être un bien commun. Ce n’est pas le cas actuellement. Peut-être que cela changera un jour. »

La cinéphile de films français indépendants a fait le choix radical de ne pas produire l’hiver. Pour garder ce temps retrouvé à rêver, voyager, se réinventer… écrire surtout. Tiens, et pourquoi pas réaliser un documentaire ou une émission de télévision sur l’agroécologie ?

LOLA PÉRIER
Agricultrice

Un potager haut en couleur – Editions Marabout

 

Mots: Jessica Bros  

Photos: Alizée Bauer pour hum média 

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Lola Périer dans son potager (©Alizée Bauer pour hum média)

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