Conversations sous l’arbre au Festival des Jardins de Chaumont sur Loire
Chaumont sur Loire, le château Renaissance , a inauguré il y a un peu plus d’une semaine son Festival international des jardins aujourd’hui trentenaire. J’arrive à point nommé entamant mon petit tour de France à l’abord des vacances pascales, en sabots tout crottés comme ceux d’Hélène dans le refrain de Brassens. Mon char électrique est branché à la borne du nouvel hôtel du Domaine, le Bois des chambres, où je rejoins mes camarades de classe, les bobos écolos, suivre une conférence sur Le Beau est dans la nature. Tout un programme!
Les quatre piliers du Domaine
Avant de vous parler de ce qui amenaient mes pas de sabots à Chaumont sur Loire , je voulais faire un détour par le bureau de la sémillante directrice du Domaine de Chaumont sur Loire, Chantal Colleu-Dumond. J’ai eu l’honneur de rencontrer. Une femme de poigne qui telle Catherine de Médicis, mène tambour battant un règne de fer dans un gant de velours. Sa mission, éveiller le public à l’Art des jardins en utilisant le Patrimoine culturel comme faire valoir, le premier pilier du domaine. Le festival a ouvert le bal en 1992 et elle en a assuré la moitié, je ne parle de carnets de bals mais de programmation culturelle et tout ce qui en découle. A travers cette chronique, permettez-moi de faire une ola, saluant cette cette grande Dame, dont l’aura du château s’est propagée jusqu’à l’international. Un exercice rare pour un domaine public. Deuxième pilier, l’Art contemporain, avec un grand A. Une grande rétrospective des oeuvres d’Alechinsky mène sa vie de château, aux côtés de l’artiste semeur Fabrice Hyber, la plasticienne Claire Morgan, l’artiste-philosophe Lee Ufan, ou encore le sculpteur Christian Lapie… Je déambule dans les salles puis découvre avec stupeur et étonnement l’ensemble de la création d’un de mes artistes favoris, Alechinsky. Cet illustre peintre-calligraphe que je ne connaissais que par l’entremise de la Galerie Lelong, ouvre la voie sur la Nature avec plus de 70 ans de création.
Avec le troisième pilier, portant sur la nature, la voyageuse solitaire que je suis, flâne au gré de jardins résilents. Au travers de cette thématique, comme le Jardin du Verstohlen (furtivement en allemand) de la philosophe Cynthia Fleury imaginé avec le designer Antoine Fenoglio ou encore le jardin sec de James Basson et son jardin sec en passant par le corridor végétal de Ashley Martinez et Julie Côté, etc les idées ne manquent pas et se confrontent côté jardin et côté cour, autour de la recherche, création paysagère et biodiversité. Véritable puits sans fonds d’idées, la rêverie s’empare de mon mental et j’imagine le champ des jardins possibles de nos lendemains qui déchantent. L’urgence climatique frappant à nos portes, il est temps de trouver de valoriser ces idées de transition, de changement de trajectoire, sans forcément partir vers des chemins disruptifs. Je ne mise ni sur la technologie mais sur le bon sens et notre patrimoine culturel et génétique, qui font que les grands animaux à penser que nous sommes, ont la solution; Elles nous pendent souvent au nez.
Dernier pilier du festival, la Pensée. Cette dernière convoque paysagistes, philosophes, artistes ou scientifiques, amenés à converser sous l’arbre, au Bois des Chambres. Je glisse mon séant, en tant qu’auditrice, à la table ronde qui referme les deux jours de conférences.
Conversations sous l’arbre au Bois des Chambres
Pour inaugurer la saison, l’écrivain-philosophe Alexandre Lacroix, le neurobiologiste aux nombreux prix scientifiques Jean-Pierre Changeux, l’artiste peintre Carole Benzaken et le paysagiste Jean Mus aux 2300 jardins ont donc répondu er débattu sur la question : «Le Beau est dans la Nature».
Quelle belle conjonction d’idées, en ces temps où la peur et les chiffres alarmistes nous gouvernent. En tant qu’esthète (en robe des champs), je m’oppose à ces discours souvent anxiogènes et contreproductifs.
Souvenez-vous de la phrase de Michel Foucault: «Faire de sa vie une oeuvre d’art.»
Pour faire le portrait de ce débat, j’ai libéré l’oiseau de sa cage pris ma plume et dressé un inventaire à la Prévert ou plutôt un florilège de mots ou pensées choisies des intervenant qui m’ont touché-coulé, voire cloué au vu du niveau du débat. Du high level ! Merci Chantal ! Petit éloge à la nature à suivre ici-bas.
Mon moment préféré comme dirait l’autre, c’est quand le philosophe a parlé d’esthétisme environnemental. Ce sujet résonne d’autant que dans ma vie de tous les jours, je privilégie le beau à l’utile et la poésie aux mathématiques; Bien qu’il y ait une certaine poésie dans la suite de Fibonacci (le nombre d’or). La bétise serait de me fourvoyer dans l’opposition de science à philosophie. La beauté est relative. Pour moi, ce n’est qu’une question de perception et d’interprétation. Je répète souvent: «Tous les mauvais goûts sont dans la nature.»
Étymologiquement parlant, le mot nature est issue en latin de Natura, du verbe « nascor, celui qui naît dans un sens métaphorique, ce qui surgit. » Selon le directeur de la rédaction de Philosophie Magazine, « La nature nous échappe. »
A l’heure de l’Anthropocène, n’oublions pas que « Nous ne savons pas affronter les actions naturalisées par notre propre action. » L’impact de l’action humaine sur le vivant n’a plus à être prouvé. Cependant « les pensées écologiques souffrent aujourd’hui d’un excès de science et de technocratie. », pointant du doigt, les rapports du GIEC qu’Alexandre qualifie de déstabilisants, déroutants et réservés aux initiés car bourré de chiffres. Je partage à 2000% son point de vue. Il renchérit: « Cultiver d’autres formes d’attentions et d’émotions autour de l’Art afin de créer des levées d’action », tout comme, il cite l’exemple du parti des verts, quant à leur élection. Ils ont valorisé auprès des allemands leur Forêt noire pour se faire élire et non via des programmes politiques rébarbatifs. Quand j’entends ces propos, je pense immédiatement à ce que cela sous-entend. Le discours de Cyril Dion , qui prône de raconter d’autres récits et aussi mes propres convictions; Ecrire ou ré-écrire des récits autour de l’idée du beau, du réenchantement, nous pousse plus à agir et donc réagir. Montrer la fragilité du monde pour qu’on la protège, comme le Petit Prince et sa rose. Ayant rejoint depuis longtemps la meute des épicuriens, sans pour autant céder à la naïveté, je crois fortement en l’idée d’une déconnexion de l’humanité du vivant par pure vanité et égocentrisme. Recentrer le débat et réécrire des récits, où la nature est reine, créent l’unanimité. L’homme est résilient, tout comme la nature.
Selon le grand ténor du paysagisme, Jean Mus : « on fait le plus beau métier du monde ». Se positionnant comme missionnaire du beau, il cite Oscar Wilde « La beauté est dans l’œil de celui qui la regarde ». Se référant à un proverbe indien qu’un petit fils de Maharaja lui avait soufflé à l’oreille à Rishikesh, en parlant du Gange : « Vous devriez apprendre à laisser couler la rivière ». Il travaille sans relâche à laisser la nature être sans oublier le caractère nourricier de la nature au rythme des saisons. Une fois que «le potagiste ou jardinier» est intervenu, l’artiste peut alors la représenter.
Quant au neurobiologiste, Jean-Pierre Changeux et son rire communicateur parlent du mimétisme dans la représentation de la nature par l’artiste. Du point de vue des atomistes, «ils avaient d’ores et déjà une vision moderne de la nature» et notamment par rapport à l’ensemble des détails de la nature qu’on ignore. Selon eux, le monde est constitué d’atomes et de vide. En concluant que le beau peut être laid, se référant notamment aux oeuvres de Goya ou de Picasso, qui avec Guernica dénonçait la guerre d’Espagne.
Même si la beauté est relative, la relation que nous entretenons avec la nature, n’a pas de mot approprié.
C’est ce qu’appelle Carole Benzaken, l’indicible… Oui, pour finir, la peintre se demande si dans ce monde de penseurs et de questionneurs, faut-il avoir une réponse à tout ? Ne faut-il pas laisser la place à la magie et à une part de mystère . Laisser une place à l’indicible et prendre un bol d’air?
En établissant des ponts avec l’art, le patrimoine, la nature et dernièrement la pensée, la reine du Château et son équipe ont bien mené leur barque, en étant précurseurs avant l’heure. Réussir à parler d’écologie, depuis plus de 30 ans, au cœur d’une institution publique, le tout autour de l’émerveillement. À la question le Beau est-il dans la nature?, je réponds oui ! Le cri du coeur que la raison ne connaît pas. Même ceux qui n’ont pas la main verte, courez à cheval en train ou à vélo au Château de Chaumont sur Loire, vous enivrer de beautés naturelles. Le beau fait du bien, là où çà fait mal, la destruction du vivant. Auto-mutilons nous à coup de résistances poétiques avec panache. A bon entendeur salut.
Domaine de Chaumont sur Loire
Mots et photos : Ingrid Bauer
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