Suzanne Husky, l’artiste alliée des castors pour régénérer le vivant

Dans le cadre de « Un artiste, un monument » du CMN (le Centre des Monuments Nationaux) et pour célébrer les 50 ans de la réintroduction du castor dans la région Centre-Val de Loire, le Château de Châteaudun a donné ses clés à l’artiste Suzanne Husky. Résultat : des histoires cousues de fils multicolores, réhabilitant le statut majeur des castors dans l’écosystème agricole

« Le peuple en faiseurs de monde, est transformé en parfums et chapeaux.» Baptiste Morizot

Par un après-midi de (chien) juin, sous le soleil, la pluie, et après quelques coups de pédale, un TER et 15 minutes de marche,  le Château de Châteaudun apparaît au bout du chemin. Cela faisait longtemps que nous rêvions de rencontrer Suzanne Husky afin de résoudre cette énigme : pourquoi vouloir réintroduire les peuples de castors dans le cours de nos vies et dans nos rivières ? C’est dans un décor singulier, un château de la Loire (inconnu au bataillon), comptant un escalier en vis, un donjon de pierre, une sainte chapelle, (rien que ça oui) et un jardin suspendu, dont l’heureux propriétaire n’était autre que Jean Dunois, dit « le bâtard d’Orléans », fils illégitime de Louis 1er et compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, que nous avons pu nous entretenir avec l’agroécologue et paysagiste, Suzanne Husky.  

« Nous avons tellement chassé cet animal (…) qu’il a autant disparu de nos vallées que de nos imaginaires… »

Dans la salle des apparats, on grignote les salades coude à coude. Timide et avec beaucoup d’humilité, l’artiste franco-canadienne nous raconte que très vite, elle comprend le rôle prépondérant du peuple castor, une espèce endémique d’Amérique du Nord mais aussi d’Europe. Elle souhaite les réintroduire dans leur milieu naturel mais aussi dans nos imaginaires collectifs. Remettre au goût du jour les castors, n’est pas une mince affaire, car ils ne figuraient ni dans le patrimoine artistique ou historique, si ce n’est dans les contes (du Père Castor). Une blague de mauvais augure ou un piège, dans lequel ne voulait pas tomber le philosophe Baptiste Morizot, devenu l’allié de Suzanne, dans la réhabilitation du peuple des rongeurs. En effet l’amoureux de la nature aux multiples ouvrages sur la préservation du vivant, rejoint l’aventure et cosigne « le livre de l’année » selon Actes Sud, Rendre l’eau à la terre. Alliance avec le peuple castor face au désert qui vient. « Nous avons tellement chassé cet animal pour son castoréum, sa fourrure et sa chair, qu’il a autant disparu de nos vallées que de nos imaginaires… »

« Le GIEC préconise la collaboration avec les castors comme solution face au réchauffement climatique. »

Dans son rapport de 2022, « le GIEC préconise la collaboration avec les castors comme solution face au réchauffement climatique. ». Après quelques recherches sur la toile, on découvre avec stupeur et tremblements leur rôle clé dans le puzzle du vivant. Pendant huit millions d’années, les castors ont façonné les paysages aquatiques et les zones humides. Végétariens dans l’âme, ils ne se nourrissent que d’écorces d’arbres ou de branchages qu’ils rongent afin de façonner leur habitat et les barrages. En modifiant la morphologie des cours d’eau en étangs et/ou zones humides, ils créent des îlots de vie pour de nombreuses espèces. Ce qui en découle, ce sont des sédiments et des polluants piégés, une qualité d’eau améliorée et surtout une régulation des cours d’eau aidant à prévenir les inondations et à atténuer les effets de la sécheresse. Sans compter la recharge des nappes phréatiques et in fine un soutien à la résilience des écosystèmes. Pas étonnant qu’on le qualifie « d’ingénieur écosystémique ».

« J’avais beaucoup de doutes sur l’art participatif (…) j’ai réalisé une œuvre collaborative avec 35 brodeuses et un cumul de plus de 1400 heures travaillées . »

Depuis plus de vingt ans, Suzanne milite, à coups de crayons et de pinceaux, pour la réintégration ? des castors d’Europe dans l’Hexagone. Dessinant ou traquant la relation triangulaire entre l’homme, les plantes et la terre, elle reçoit le Prix Drawing Now 2023, lors du salon Drawing Lab. À Châteaudun, elle et Baptiste Morizot, le pisteur de loup, « devenu castor entretemps », mettent en lumière « les invisibilisés », sous-entendu les non êtres humains. Une histoire d’alliance entre le peuple castor et la France se tisse au fil du travail de brodeuses amatrices et le studio Dash & Miller, qui a travaillé sur la tapisserie de Game of Thrones. Inspirée par la série mythique et la fameuse tapisserie de Bayeux, « J’avais beaucoup de doutes sur l’art participatif, mais finalement j’ai réalisé une œuvre collaborative avec 35 brodeuses et un cumul de 1 400 heures travaillées.» C’est ainsi qu’est née une frise de 12 mètres de long, contant l’Odyssée du castor sur 15 000 ans d’histoire, depuis l’ère glaciaire jusqu’à nos jours, avec ses interconnexions au monde. Saluons au passage l’humilité de l’artiste devenue brodeuse malgré elle, « j’ai appris deux points ». En préambule à l’exposition, elle confie à nos oreilles attentives : « Vous allez voir, ce n’est pas une œuvre magistrale. »

Afin de ne pas divulgâcher les tapisseries, essaimons quelques anecdotes autour de ce travail insensé (mais qui donne du sens à la réhabilitation de cet animal dans nos campagnes, villes…). Les ouvrières aux mains d’or sont pour la plupart des amatrices, issues du village de Bazas, « la terre militante » de Suzanne. Tout le monde se connait. L’une a brodé le champ de blé situé en face de sa colline, l’autre les truites pêchées avec son fils, la couleur rose des castors est un hommage au cheval bleu de Bayeux… Sans oublier les symboliques de certaines scènes : comme celle du mariage interespèces des Amérindiens illustrant l’alliance entre castors et hommes même si ce type d’union était absente en Europe, celle de la déesse perse de l’eau Anahita, vêtue de peaux de castor qui met au panthéon des déités le rongeur herbivore ou encore celle des méga-bassines à proscrire en cas de présence de castors, car les étangs c’est leur dada. Aux côtés de Jeanne d’arc dans la salle voisine, trône une autre tapisserie, basée sur la technique millefiori à l’instar des tapisseries médiévales, elle met en scène le castor, comme un héros des temps modernes. Ce qui n’est pas une utopie, puisqu’aujourd’hui, plus de 15 000 castors ont été réintroduits en France ce qui a eu des impacts positifs sur la biodiversité.

La résistance poétique et le militantisme artistique de Suzanne Husky, accolés à des démarches scientifiques, ont donc porté leurs fruits dans la vallée de nos rêves et dans nos rivières. Alors on n’hésite plus à s’indigner et à résister, la victoire n’en sera que plus salvatrice et limpide.

Histoire des alliances avec le peuple castor par Suzanne Husky 

Textes Baptiste Morizot

Du 15 juin au 3 novembre 2024

Château de Châteaudun 

Informations pratiques

 

Mots & Photos : Ingrid Bauer

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