Fakear, électrochoc

Le musicien clôture sa tournée en pleine conscience des défis qu’il reste encore à relever dans l'industrie musicale pour promouvoir des pratiques plus responsables.

Il rentre tout juste de ses vacances à la montagne, où il a passé quelques jours à faire « la cuisine pour ses potes » et bidouiller de la musique « d’ambient », des nappes qui s’étirent comme du chewing-gum. Théo Le Vigoureux, son nom à la ville, casquette retournée, tatouages éparpillés, a le regard franc, joyeux, mélancolique, tout ça à la fois. Il nous accueille au « Bunker » près du Père-Lachaise à Paris, quartier général de son label Nowadays Records.

Revenir à l’essentiel. En train d’achever la tournée de son album Talisman -marquée par une performance mémorable à la Salle Pleyel en janvier dernier – l’année à venir s’annonce empreinte de festivals et de fêtes nocturnes, orchestrés par son label pour son nouvel opus Hypertalisman. Une nouvelle ère de liberté artistique, une réaffirmation de son identité après trois albums chez Universal «clore un chapitre, relancer une expérimentation que j’aurais dû faire à l’époque, quand j’ai signé dans cette major ». Une prise de conscience et d’introspection forcée par le huis clos qui a figé le monde en 2020, où tout s’est interrompu, laissant un vide abyssal au musicien « une pause nécessaire pour revenir à l’essentiel » et à son tout premier label Nowadays. Celui qui se définit comme «Workaholic », puise son inspiration musicale dans les « ambiances qui l’entourent » : la nature sauvage, l’effervescence urbaine, les sons électroniques des jeux vidéo « Mario et Zelda sont des chefs-d’œuvre », et les classiques de l’animation japonaise « Akira, Ghost in the Shell, Perfect Blue et toute la vibe animée des années 1990 ». On ne l’arrête plus,  la culture geek l’anime, le passionne, des univers fictifs, des récits imaginaires qui nourrissent sa musique «Je m’invente un monde. »

Du rock à l’électro. Originaire de Caen, Théo est élevé par des parents professeurs de musique « cool, joyeux, un peu babos », qui lui apprennent la musique de façon récréative « ils ne m’ont pas mis au conservatoire. »  Il est biberonné à Supertramp, Pink Floyd, Dire Straits… Une culture rock qui a, dès le début imprégné sa musique. Son premier single sorti en 2012 Morning in Japan, était à l’origine une chanson guitare-voix qu’il a remplacée par des outils électroniques. Mais c’est avec la découverte d’artistes comme Radiohead, Portishead, Bonobo que sa vision musicale s’élargit et qu’il explore les ponts entre rock et électro. Entre l’organique et le synthétique. Une fascination pour les synthétiseurs déjà présents dans le paysage sonore des icônes du rock progressif. Glass Animals, en particulier, guide le jeune artiste dans l’univers hypnotique de la musique électronique. Après le lycée, il hésite à se lancer professionnellement dans la musique et se tourne vers les métiers du spectacle vivant comme assistant de régisseur « Cela m’a donné un sens de la réalité du terrain », un bagage précieux pour la suite de son parcours. Quelques mois plus tard, il reprend des études de Musicologie à la fac d’Évry, en banlieue parisienne, où il approfondit ses connaissances. En parallèle, il partage de temps à autre sa musique, sur des plateformes comme Myspace et Soundcloud. Très vite, le bouche-à-oreille le propulse sur le devant de la scène, et lui offre à tout juste 20 ans les premières parties d’artistes renommés comme Wax Tailor. On connait la suite, prix du public Deezer Adami Award en 2014, disque d’or en 2016… Et plusieurs albums.

Faire bouger les lignes. Ce n’est pas un artiste qui se contente de faire seulement danser les foules avec sa musique électro, il est aussi le reflet d’une génération engagée. L’écologie est une valeur enracinée dans son éducation « J’ai grandi dans un cercle de militants », même si au début, il a dû jongler avec l’idée d’être un artiste engagé tout en préservant l’essence de sa musique, et la pression extérieure qui lui conseille de ne pas mêler engagement et art au risque d’être étiqueté. « Je dissociais les deux, je ne me sentais pas de prendre la parole là-dessus.» Signataire du collectif Music Declares Emergency, le vrai tournant survient lorsqu’Universal n’accepte pas de faire du merchandising écologique pour ses concerts. « J’étais coincé, je ne pouvais pas refuser, j’avais un contrat, ça m’a vraiment mis en colère. Je n’avais plus envie de me taire. » Une expérience frustrante qui pousse l’artiste à se positionner plus fermement en faveur de ses convictions. Sa rencontre avec Camille Etienne, avec qui il devient ami, encourage sa prise de position. Désormais, il n’hésite pas à prendre la parole lors d’événements engagés, telle que la marche du climat, où il a joué devant des milliers de personnes en 2021. Il se dit aussi inspiré par des artistes comme Pomme qui intègre avec brio ses convictions à sa pratique artistique, sans en faire tout un flan

Des solutions alternatives. Conscient de l’impact environnemental de ses tournées, Théo s’engage à rendre ses concerts plus respectueux de la planète. Il refuse des dates à l’autre bout du monde, privilégie les modes de transport comme le train. « Ça t’oblige à repenser ta tournée différemment, mais toute mon équipe technique, des vétérans expérimentés, sont d’accord avec ça. On a le tour bus le plus sain de France, il ne manquerait plus qu’il roule à l’hydrogène. » Pour 2026, il réfléchit même à organiser une tournée complètement écoresponsable,« pour être exemplaire et trouver des solutions alternatives. » Et lorsqu’on l’interroge sur les contradictions de l’industrie musicale en matière d’écologie, le DJ ne mâche pas ses mots « être un musicien écolo, c’est se tirer une balle dans le pied, une carrière d’artiste est bâtie avec des chiffres croissants : plus de dates, plus de concerts… » Une réflexion qu’il a d’ailleurs récemment partagé avec le musicien Frah du groupe Shaka Ponk « il se réclame vraiment de cette éthique-là, mais comment faire lorsque l’on travaille avec beaucoup de gens et d’équipements sur la route ? »  Qu’à cela ne tienne, il s’agit d’un choix fondamental à faire quant à l’héritage qu’il souhaite laisser « On est en train d’éradiquer la vie sur terre, les animaux meurent et c’est de notre faute. Je trouve ça ouf ! »La déforestation et l’anéantissement de la biodiversité figurent parmi les préoccupations majeures du jeune homme.

On pourrait parler des heures mais il est temps de repartir, Théo, nous offre le Vinyle de son dernier album. On dégaine l’appareil photo pour lui tirer le portrait, il remet son sweat à capuche tie and dye, fier de nous raconter qu’il l’a personnalisé lui-même. On fait la mise au point, soudain sur son visage apparait une certaine réserve qui ne manque pas de charme. 

FAKEAR

Auteur-compositeur et musicien de musique électronique

Mots : Jessica Bros

Photos : Alizée Bauer 

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Fakear, électrochoc

Le musicien clôture sa tournée en pleine conscience des défis qu’il reste encore à relever dans l'industrie musicale pour promouvoir des pratiques plus responsables.

Il rentre tout juste de ses vacances à la montagne, où il a passé quelques jours à faire « la cuisine pour ses potes » et bidouiller de la musique « d’ambient », des nappes qui s’étirent comme du chewing-gum. Théo Le Vigoureux, son nom à la ville, casquette retournée, tatouages éparpillés, a le regard franc, joyeux, mélancolique, tout ça à la fois. Il nous accueille au « Bunker » près du Père-Lachaise à Paris, quartier général de son label Nowadays Records.

Revenir à l’essentiel. En train d’achever la tournée de son album Talisman -marquée par une performance mémorable à la Salle Pleyel en janvier dernier- l’année à venir s’annonce empreinte de festivals et de fêtes nocturnes, orchestrés par son label pour son nouvel opus Hypertalisman. Une nouvelle ère de liberté artistique, une réaffirmation de son identité après trois albums chez Universal «clore un chapitre, relancer une expérimentation que j’aurais dû faire à l’époque, quand j’ai signé dans cette major ». Une prise de conscience et d’introspection forcée par le huis clos qui a figé le monde en 2020, où tout s’est interrompu, laissant un vide abyssal au musicien « une pause nécessaire pour revenir à l’essentiel » et à son tout premier label Nowadays. Celui qui se définit comme «Workaholic », puise son inspiration musicale dans les « ambiances qui l’entourent » : la nature sauvage, l’effervescence urbaine, les sons électroniques des jeux vidéo « Mario et Zelda sont des chefs-d’œuvre », et les classiques de l’animation japonaise « Akira, Ghost in the Shell, Perfect Blue et toute la vibe animée des années 1990 ». On ne l’arrête plus,  la culture geek l’anime, le passionne, des univers fictifs, des récits imaginaires qui nourrissent sa musique «Je m’invente un monde. »

Du rock à l’électro. Originaire de Caen, Théo est élevé par des parents professeurs de musique « cool, joyeux, un peu babos », qui lui apprennent la musique de façon récréative « ils ne m’ont pas mis au conservatoire. »  Il est biberonné à Supertramp, Pink Floyd, Dire Straits… Une culture rock qui a, dès le début imprégné sa musique. Son premier single sorti en 2012 Morning in Japan, était à l’origine une chanson guitare-voix qu’il a remplacée par des outils électroniques. Mais c’est avec la découverte d’artistes comme Radiohead, Portishead, Bonobo que sa vision musicale s’élargit et qu’il explore les ponts entre rock et électro. Entre l’organique et le synthétique. Une fascination pour les synthétiseurs déjà présents dans le paysage sonore des icônes du rock progressif. Glass Animals, en particulier, guide le jeune artiste dans l’univers hypnotique de la musique électronique. Après le lycée, il hésite à se lancer professionnellement dans la musique et se tourne vers les métiers du spectacle vivant comme assistant de régisseur « Cela m’a donné un sens de la réalité du terrain », un bagage précieux pour la suite de son parcours. Quelques mois plus tard, il reprend des études à la fac de Musicologie à Évry, en banlieue parisienne, où il approfondit ses connaissances. En parallèle, il partage de temps à autre sa musique, sur des plateformes comme Myspace et Soundcloud. Très vite, le bouche-à-oreille le propulse sur le devant de la scène, et lui offre à tout juste 20 ans les premières parties d’artistes renommés comme Wax Tailor. On connait la suite, prix du public Deezer Adami Award en 2014, disque d’or en 2016… Et plusieurs albums.

Faire bouger les lignes. Ce n’est pas un artiste qui se contente de faire seulement danser les foules avec sa musique électro, il est aussi le reflet d’une génération engagée. L’écologie est une valeur enracinée dans son éducation. « J’ai grandi dans un cercle de militants » même si au début, il a dû jongler avec l’idée d’être un artiste engagé tout en préservant l’essence de sa musique, et la pression extérieure qui lui conseille de ne pas mêler engagement et art au risque d’être étiqueté. « Je dissociais les deux, je ne me sentais pas de prendre la parole là-dessus. »

Signataire du collectif Music Declares Emergency, le vrai tournant survient lorsqu’Universal n’accepte pas de faire du merchandising écologique pour ses concerts. « J’étais coincé, je ne pouvais pas refuser, j’avais un contrat, ça m’a vraiment mis en colère. Je n’avais plus envie de me taire. » Une expérience frustrante qui pousse l’artiste à se positionner plus fermement en faveur de ses convictions. Sa rencontre avec Camille Etienne, avec qui il devient ami, encourage sa prise de position. Désormais, il n’hésite pas à prendre la parole lors d’événements engagés, telle que la marche du climat, où il a joué devant des milliers de personnes en 2021. Il se dit aussi inspiré par des artistes comme Pomme qui intègre avec brio ses convictions à sa pratique artistique, sans en faire tout un flan.

Des solutions alternatives. Conscient de l’impact environnemental de ses tournées, Théo s’engage à rendre ses concerts plus respectueux de la planète. Il refuse des dates à l’autre bout du monde, privilégie les modes de transport comme le train. « Ça t’oblige à repenser ta tournée différemment, mais toute mon équipe technique, des vétérans expérimentés, sont d’accord avec ça. On a le tour bus le plus sain de France, il ne manquerait plus qu’il roule à l’hydrogène. »

Pour 2026, il réfléchit même à organiser une tournée complètement écoresponsable, « pour être exemplaire et trouver des solutions alternatives. » Et lorsqu’on l’interroge sur les contradictions de l’industrie musicale en matière d’écologie, le DJ ne mâche pas ses mots « être un musicien écolo, c’est se tirer une balle dans le pied, une carrière d’artiste est bâtie avec des chiffres croissants : plus de dates, plus de concerts… » Une réflexion qu’il a d’ailleurs récemment partagé avec le musicien Frah du groupe Shaka Ponk « il se réclame vraiment de cette éthique-là,  mais comment faire lorsque l’on travaille avec beaucoup de gens et d’équipements sur la route ? » Qu’à cela ne tienne, il s’agit d’un choix fondamental à faire quant à l’héritage qu’il souhaite laisser « On est en train d’éradiquer la vie sur terre, les animaux meurent et c’est de notre faute. Je trouve ça ouf ! »  La déforestation et l’anéantissement de la biodiversité figurent parmi les préoccupations majeures du jeune homme.

On pourrait parler des heures mais il est temps de repartir, Théo, nous offre le Vinyle de son dernier album. On dégaine l’appareil photo pour lui tirer le portrait, il remet son sweat à capuche tie and dye, fier de nous raconter qu’il l’a personnalisé lui-même. On fait la mise au point, soudain sur son visage apparait une certaine réserve qui ne manque pas de charme.

FAKEAR

Auteur-compositeur et musicien de musique électronique

Mots : Jessica Bros

Photos : Alizée Bauer

 

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