Stéphane Derenoncourt, les mains dans la terre de T-Oinos

Ceci est un portrait en trois temps. Premier temps, rencontre avec le domaine T-Oinos, niché au cœur d’un paysage lunaire sur l’île détonante de Tinos. Deuxième temps, une séance de dégustation, orchestrée par Panayiota, une boule de joie et d’énergie, et enfin troisième temps à Paris pour discuter à bâtons rompus avec le maître vigneron autodidacte, Stéphane Derenoncourt.

Cet été, Tinos m’a tendue les bras, enfin plutôt Éole qui l’air de rien ne cesse de souffler sur cette île perdue entre la folie de Mykonos et les ruines de Délos, ancienne capitale des Cyclades. Que j’aime la Grèce… Cette douceur de vivre, la patience des Grecs, l’aridité des paysages, sa moussaka (végétarienne), ses Dakos ou autres spécialités qui régalent les papilles, car oui on aime le gras, n’en déplaise à certains ayatollahs des régimes sans graisse ajoutée. Mais revenons à Tinos, où j’ai eu la chance de visiter le domaine de T-oinos se prononçant en phonétique [Tafinos]. Accompagné de mon ami caviste, Stéphane Girard (de l’excellente échoppe La Carte des vins, pour ne pas la nommer), nous avons rencontré la gérante de ce domaine « surréaliste », Panayiota Kalogeropoulou. Surréaliste, car nous sommes perchés à plus de 400 mètres d’altitude, un lieu qui en décoiffe plus d’un dans tous les sens du terme, des pieds de vignes bientôt couronnés de grappes de raisins alignés et emplis de résilience. Mais surtout, on sent que la nature semble murmurer des secrets. Dans le paysage énigmatique coincé entre Falatados et Volax, célèbre pour ses rochers de granit aux formes arrondies, des mythes évoquent une ancienne bataille entre Dieux et géants. En réalité, ces énormes pierres, appelées volakes, seraient le résultat de phénomènes naturels, formées il y a des millions d’années et façonnées par le vent et le climat. C’est au cœur de cette nature préservée qu’Alexandre Avatangelos et Gérard Margeon ont lancé, en 2002, le vignoble T-Oinos, un projet unique qui produit aujourd’hui des vins élégants, empreints de singularité et d’un petit supplément d’âme. Alea Jacta est, comme dirait César. Le pari est relevé et vingt-deux ans plus tard, nous voilà, en train de fouler le sol des déités grecques.

« Les agronomes cherchent souvent à obtenir des vignes saines et des raisins parfaits »

Premier pas, en 2016, dans les terres granitiques de T-Oinos, pour le maître vigneron autodidacte, Stéphane Derenoncourt. Sa mission ? Améliorer la qualité des vins en mettant l’accent sur la typicité des vignes, l’aération et la nutrition des sols, tout en veillant à une gestion précise de la vigne pour produire des vins uniques adaptés au terroir de l’île de Tinos. Lors de sa première visite avant les vendanges, il a été frappé par une impression de souffrance en observant les vignes et les raisins : « La vigne doit être conduite dans une certaine souffrance et contrainte. », n’en déplaise aux agronomes qui « cherchent souvent à obtenir des vignes saines et des raisins parfaits ». Son approche singulière permet de contrôler une plante naturellement sauvage et exubérante, et c’est dans cette contrainte, qu’il voit « un parallèle avec la condition humaine. » Aux côtés d’Alexandre (le propriétaire), passionné des plantes et du vivant, il apprend beaucoup et compare souvent ces vignes à la santé d’un humain. Les années passent et ne se ressemblent pas.

« LE VIN ÇÀ NE FAIT QUE DU RAISIN ; C’EST L’INFLUENCE DU SOL QUI CRÉE LE GOÛT DU VIN, LA SENSORIALITÉ. »

Stéphane est arrivé dans la sphère des viticulteurs, un peu par hasard… Il se souvient : « Je suis un gars du Nord qui a un peu foiré ses études et sa jeunesse. » Bordeaux 1982, une histoire d’amour démarre avec le métier de la vigne, « un peu paumé, j’avais besoin de m’enraciner, je me suis donc peu à peu passionné pour cette plante. » Quand il découvre le principe de fermentation, sourit-il : « j’ai un peu vu la Vierge », il se lance dans cette entreprise peu conventionnelle et traditionnelle, car une de ses principales forces est de mettre sa candeur et créativité au service de la vigne : « J’avais cette fraîcheur de pouvoir mettre des choses en place un peu différente sans que trois générations de grands-pères se retournent dans leur tombe. » Des rencontres puissantes jalonnent son parcours comme celle avec Paul Barre, reconnu pour avoir été l’un des premiers viticulteurs de Bordeaux à adopter la biodynamie, qui s’inspire des principes de l’anthroposophie. « J’ai toujours été un peu marginal », l’épée de Damoclès pointait souvent son nez nous raconte-il, car il n’avait pas « la gueule de l’emploi » mais plutôt celle de l’imposteur (car non diplômé). Malgré tout, son expérience de viticulteur se forge d’année en année, « En 1999, je crée ma propre équipe de conseillers avec des jeunes que j’aime à dire que je déforme ». Cette longue passion qui dure encore, lui aura fait comprendre que : « Le vin ça ne fait que du raisin ; c’est l’influence du sol qui crée le goût du vin, la sensorialité. » Outre ce facteur majeur, nous apprenons au fil de la discussion que la profondeur racinaire joue aussi un rôle essentiel, dans le processus. Petite démonstration à suivre… Les racines de la vigne s’enfoncent profondément, parfois jusqu’à 6 mètres, en quête d’eau et de nutriments cachés dans le sol. Elles s’adaptent aux conditions, plongeant plus profondément dans les sols secs ou bien drainés. Ce réseau racinaire renforce la vigne et lui permet de produire des raisins riches en arômes, portant en eux l’essence même du terroir. Le vin devient alors une expression vivante de cette connexion intime entre la plante et la terre. CQFD.

Les caprices du vent, une sécheresse exacerbée, autant d’aléas climatiques, dont il faut tenir compte pour faire pousser du raisin résilient. Ici, « les vignes ne sont pas palissées, mais attachées à des piquets, ce qui stabilise les branches et les protège ». Accolée à une revitalisation du sol en intégrant l’utilisation de plantes, ce qui améliore considérablement la vitalité de la terre, tout en préservant la production viticole.

« Je ne sais pas trop ce que c’est qu’un vin nature. La seule chose que je sais, c’est que la nature ne produit pas de vin. »

Au niveau de la  production, le domaine produit environ 20 000 bouteilles par an sur 12 hectares, bien que dans d’autres régions, la même surface puisse donner jusqu’à 80 000 bouteilles. Quant au prix élevé des bouteilles, comptez entre 80 et 100€, Stéphane s’en défend, « le prix est la valeur d’un vin naturel de qualité », gardez-le donc pour une occasion rêvée et rassurez-vous, vous avez le temps, car contrairement aux idées reçues « il se conserve aussi bien que d’autres types de vin, comme le Bordeaux, car vinifiés sans intrants mais surtout avec soin et très peu d’oxygène. »

Au terme de cet entretien, on a évoqué la différence entre les appellations « bio », « biodynamique » ou encore « nature »…Sans langue de bois, le vigneron se moque (gentiment) : « Je ne sais pas trop ce que c’est qu’un vin nature. La seule chose que je sais, c’est que la nature ne produit pas de vin. » Lors de notre séance de dégustation avec la maitresse des lieux de Tinos, on a eu un coup de cœur, pour un vin blanc, Clos Stegasta Mavrotragano. Issu de l’assyrtico, un cépage fascinant de Santorin, évoluant sur du sable volcanique pour venir s’épandre sur le sol granitique de Tinos. Aujourd’hui, Stéphane ne prend soin que de ses jus favoris, son vin : Domaine de l’A , Château Pavie Macquin et T-Oinos bien sûr.

« Le vin est le miroir de l’homme »

« Le vin est le miroir de l’homme. Reflet des dynamiques sociétales, il évolue au rythme des transformations culturelles et politiques. La grande prise de conscience de la fin du XXe siècle, quant à l’écologie et l’environnement est en marche. » Perdu au temps du péril jeune, Stéphane ressort de ce monde « optimiste », où même si nous sommes dans le chaos et le flou : « le monde trouvera un nouvel équilibre. Ce n’est pas qu’une question de choix, mais une nécessité. »

STÉPHANE DERENONCOURT

Consultant viticole

Domaine de T-Oinos.

Mots & Photos : Ingrid Bauer 

Photos Portrait : George Vdokakis

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