Chanee, gardien de la forêt indonésienne

Aurelien Brulé (dit Chanee), crée l’association Kalaweit, à l’issue de sa lutte contre la déforestation entre Bornéo et Sumatra. Portrait d’un fervent défenseur des forêts primaires, où depuis sa plus tendre enfance, il voue un amour indicible aux gibbons, une espèce de primates particulièrement sensibles.

Fin de matinée parisienne, une aubaine pour nous de rencontrer Chanee, car son terrain de jeu habituel ce ne sont pas les quelques mètres carrés de la cour arborée de l’Académie du climat, mais l’infiniment grand des forêts primaires indonésiennes.

D’ailleurs, nous confie-t-il, cela n’a pas toujours été facile, « quand je suis arrivé, en Indonésie, j’étais un blanc bec de Français ». Et puis au fur et à mesure, une confiance mutuelle est née et les Indonésiens l’ont adopté. Là-bas, il est suivi  par 1,4 million d’abonnés sur YouTube. Rien à voir avec l’ego, juste de la légitimité qu’il a gagné  à la sueur de ses combats. 

« Il faut s’adapter à l’air du temps, mais ne pas perdre la forêt dans le processus » 

C’est dans le Var que commence son histoire, enfant timide, il trouve des compagnons  dans un zoo de sa région, « un des pires zoos qui puisse exister », où il découvre les  gibbons, un singe qui « a l’air plus triste que les autres ». Intrigué, il obtient  l’autorisation de venir tous les mercredis, s’asseoir dans une cage pour observer leurs  comportements. Drôle de rencontre… À 16 ans, il publie un livre racontant l’ensemble de ces observations et anecdotes vécues en bonne compagnie, à l’instar du travail effectué par la papesse en la matière, Jane Goodall. Une première en France, il défraie la chronique et les médias s’emparent de cette l’histoire, celle du petit d’homme qui passe son temps dans les cages d’un  primate. L’actrice Muriel Robin, touchée par cette passion devenue vocation, entend le désir du  jeune homme, d’aller plus loin dans sa démarche, et de partir en Asie découvrir les  vrais gibbons sauvages. Elle décide de financer son premier voyage, d’abord en Thaïlande, puis le second en Indonésie, cette fois-ci, sans billet de retour. 

En arrivant là bas le jeune homme prend conscience de plusieurs menaces qui pèsent sur la vie des gibbons sauvages. Ils sont utiliser comme animaux de compagnie, et leur milieu naturel est dévasté par  la déforestation, pour la production d’huile de palme. Chanee se met en tête de créer des réserves naturelles pour accueillir de jeunes gibbons orphelins.  Nous sommes en 1998, « c’est la chute  du président Soeharto, après 32 ans de dictature », le sauvetage des singes reste  anecdotique à l’époque pour le gouvernement. Mais avec foi et persévérance, il parvient à mener son combat et un programme de conservation des  gibbons en Indonésie. Chanee ne s’arrête pas là. Car au beau milieu de cette jungle, vivent les Dayaks, peuple  autochtone de Bornéo, possédant encore quelques terres. Des terres qu’ils se retrouvent contraints de vendre à l’industrie, en échange d’un énorme pécule. En donnant leur richesse et leur âme au diable, ils pensent pouvoir améliorer leur vie, en scolarisant leurs enfants. « Il faut s’adapter à l’air du temps, mais ne pas perdre la forêt dans le  processus. » Alors, pour convaincre les  populations, Chanee cherche des méthodes concrètes, rapides et pragmatiques. 

« Quand vous faites de la conservation en Indonésie et que vous n’avez pas d’ennemis c’est que vous ne faites pas grand-chose. Mais si vos ennemis sont les populations autochtones, c’est que vous ne vous y prenez pas de la bonne manière. » 

Il travaille main dans la main avec les Dayaks et crée Kalaweit. Avec l’idée d’un Green deal : un rachat de leurs terres, dont ils  gardent l’usufruit, leur permettant ainsi de continuer leurs activités traditionnelles et  d’empocher la même somme qu’aurait rapporté leur huile de palme.  La condition sine qua non : ne pas chasser, ne pas couper des arbres et ne pas jouer  à l’orpailleur de petite fortune. Les terrains sont ainsi donnés au village, mais gardés  et protégés en collaboration avec l’association Kalaweit.

Des gardes entourent les forêts à protéger, repoussent les adversaires, à l’extérieur des terres afin de préserver la faune existante. Chanee est vivement soutenu par les populations locales, qui  l’ont sauvé plus d’une fois de la prison. « Quand vous faites de la conservation en  Indonésie et que vous n’avez pas d’ennemis c’est que vous ne faites pas grand-chose.  Mais si vos ennemis sont les populations autochtones, c’est que vous ne vous y prenez pas de la bonne manière. »

Aujourd’hui Kalaweit compte plus de 2000 hectares de forêts protégées, et cela ne cesse de grandir. A côté de ce plan de conservation, l’association Kalaweit dispose de centres de soins et de sauvetage des gibbons, mais aussi de tout autre animal délogé par la déforestation, (ours, macaques etc). Trois centres d’accueil s’implantent, un à Bornéo et deux à Sumatra. Grâce à toutes ces initiatives, ils ont également pu observer le retour de tigres. Devenus légende pour les populations, le tigre vient à nouveau traverser les terres préservées de Sumatra, où il trouve davantage de nourriture. 

« Nos défaites sont permanentes » 

En 2022, dans son livre Hâte d’être à demain, il s’évertue a prouver que mener des initiatives  concrètes et vertueuses s’avère plus efficace que tous les beaux discours. Adieu les small talks. « Hâte d’être à demain parce que quand vous faites du concret, et que vous vous endormez le soir en vous disant, aujourd’hui j’ai sauvé  30 hectares, et j’ai hâte de me lever demain et d’en sauver encore 30 (…) on a la sensation de faire la différence. C’est l’énergie que l’on devrait répandre autour de nous. C’est ça le vrai moteur de l’écologie, la vraie. »Il reste malgré tout réaliste et sait que toutes ces petites victoires peuvent être provisoires, « Nos défaites sont permanentes  » pas d’autre choix donc, que de passer par l’action, humblement.

Agir pour ne plus se retrouver paralysé devant des informations toujours plus lourdes que les autres, agir pour faire face à notre soif insatiable de ressources, de pouvoir, de violence. Agir pour voir ce que l’on est capable de faire, de sauver, de soigner, d’observer sans toucher, de respecter. Partager cette terre que l’on s’est appropriée, agir pour vivre ensemble, comprendre que nous vivons avec d’autres humains, et avec d’autres êtres que nous ne comprenons pas toujours. Agir pour savoir que l’on est capable du  meilleur. Tout le  monde peut s’inventer gardien de la terre s’il le fait sincèrement. 

ASSOCIATION KALAWEIT 

Pour suivre la chaine youtube de Chanee 

Mots et photos : Alizée Bauer 

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