Paloma Moritz, demain entre ses mains

L’été en pente douce essaime ses premières chaleurs et s’affale sur les côteaux de Paris. L'escalier fait retentir nos pas. Paloma Moritz, journaliste et responsable du pôle écologie chez Blast, nous ouvre les portes de son appartement. Conversation animée autour de comment regarder et cohabiter le monde (autrement) avec le vivant.

Nous sommes des vivants parmi les vivants et nous dépendons du vivant pour survivre. Baptiste Morizot

L’œil vif, les pieds nus effleurant le parquet, Paloma nous raconte son parcours déjà long, comparé à son jeune âge « On a tous quelque chose à faire pour le monde ». À l’aune de ses vingt ans, La Vie devant soi, elle démarre des études à Science Po Paris.  En 2011 elle poursuit sa troisième année  en Californie, et assiste à la naissance du mouvement Occupy, qui  dénonce les inégalités sociales, se fait le porte-parole de l’urgence écologique et identifie les « premiers germes d’une crise systémique ». La jeune diplômée « peaufine sa vision du monde », en regardant beaucoup de documentaires. Paloma simule des COP et prend pour modèle l’ancien président des Maldives, Mohamed Nasheed, qui à l’époque s’est battu pour que son archipel ne sombre pas dans les eaux profondes. En 2015, la journaliste en herbe rédige, à Shanghai, son mémoire sur les problématiques écologiques face aux questions démocratiques et relève tous les matins les compteurs de pollution. À l’époque, tourne en boucle sur les réseaux le documentaire Under the dome, dénonçant la pollution atmosphérique en Chine. Les prémices d’un futur engagement la mènent vers La Promesse de l’aube d’une carrière de journaliste déterminée. Un parcours sans faille et sans reproche, avec la conscience d’avoir de la chance en poche : « j’ai toujours eu un sentiment d’absurdité sur notre monde ». Elle se fait la promesse de ne jamais entrer dans une case et de faire bouger les lignes tout en ne cédant pas « à un des plus grands maux de notre société, l’apathie».

Car oui l’écoanxiété n’épargne pas non plus celle qui se nourrit, décortique l’info, questionne ou interroge ses détracteurs, philosophes, économistes, activistes, artistes, scientifiques, qu’elle reçoit lors de grands entretiens.  L’hyperactive réalise aussi des vidéos afin de vulgariser des notions d’écologie nous permettant de mieux comprendre et appréhender les questions environnementales. Vous connaissez la chanson ? Ou plutôt le proverbe chinois : « Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt ». Informer, vulgariser, démocratiser, mais aussi faire rêver et tisser, inventer de nouveaux imaginaires, telles sont les missions de l’équipe du pôle écologie de Blast. Regarder le monde avec d’autres lunettes, c’est le mantra de Paloma. Avec Blast, besogneuse et travailleuse, elle ne lâche rien et insuffle un souffle alternatif à l’info. Son leitmotiv corrobore les mots du philosophe Baptiste Morizot, « nous sommes des vivants parmi les vivants et nous dépendons du vivant pour survivre».

Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans politique

Les yeux dans le bleu de Paloma, nous décentrons le regard et savourons ses paroles, celles d’une écoféministe, qui entend poursuivre son destin en défendant les droits des femmes, en redonnant du sens à la valeur travail et  sans dépolitiser l’écologie. À l’instar d’Hegel et de son célèbre verbatim : « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion.», tout porte à croire que « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans politique.» : le droit de vote des femmes, la contraception, les congés payés… « Tout est passé par de la conflictualité », se désole-t-elle. « Le danger de l’écologie est que cette dernière devienne apolitique. Les solutions face à l’urgence climatique, sont fondamentalement politiques».  Au vue des intérêts divergents de chacun et notamment ceux des industriels qui à coups de lobby ont débouté la Convention Citoyenne pour le Climat, « les solutions ne sont pas les mêmes pour tout le monde». Deux salles (ou perceptions), deux ambiances « caricaturales » ; D’un côté  le « solutionnisme technologique avec l’avion vert ou la viande de synthèse ». Cette foi en l’innovation nous rattrape à grand pas et nous cloue au sol. Et de l’autre, la course à la surproduction : « Aller chercher toujours plus de terres rares et numériser notre monde». « L’écologie suppose des conflits dans nos visions du monde » d’autant qu’elle n’est rarement accordé sur le tempo de justice sociale. « Les victimes du réchauffement climatique sont parmi les plus pauvres». Prenons la proximité des déchetteries ou  l’installation d’infrastructures polluantes dans les quartiers populaires, « aucune ne s’installe à Versailles ou en plein centre de Paris ». Les mesures favorisant la justice sociale, proposées lors de la Convention Citoyenne, «ont largement été détricotées par la loi climat.» Ce qui terrorise Paloma, ce sont « l’inaction des gouvernements et notre incapacité à bouger ». Nous nageons en plein déni collectif. Restent que les efforts communs doivent être nivelés « en fonction des inégalités sociales et économiques ». Même si cela est dur à entendre, oui  CQFD : « l’écologie doit rester politique pour changer notre vision du monde et notre relation  aux autres». Pratiquant la méditation et le yoga, Paloma soigne ses maux de l’humanité grâce aux signaux même faibles des citoyens d’ici ou d’ailleurs et fustige l’Homme d’avoir imposé « une hiérarchie entre nature et culture».

L'entraide à l’école, on appelle cela de la triche. Pablo ServigNE

Comment cohabiter ensemble notre monde ? La question est posée. L’ordinateur gît sur la table, un silence passe. La jeune journaliste ne modère pas ses propos, quant à la responsabilité de l’appareil politique mais aussi des multinationales d’énergies fossiles et d’agroalimentaire. « Ce sont elles, qui ont fait de la désinformation sur le réchauffement climatique et ont retardé les négociations». Créer de l’espace pour débattre, affronter les divergences, comparer les points de vue mais aussi les solutions, tel serait le vœu de la combattante. « Les choix politiques ne sont pas à la hauteur de l’urgence». Il est nécessaire de « penser collectif et de remettre en cause l’organisation de nos sociétés », car pour l’instant tout  est conçu à  « court terme, ce qui écarte de fait toutes les problématiques du climat et du vivant ». Paloma évoque quelques exemples de changements transitoires à mettre en place, comme la rénovation thermique de nos bâtiments. En France, douze millions de personnes sont encore en précarité énergétique, les aides au logement pourraient être plus largement communiquées et les artisans mieux formés.  Une autre solution pourrait consister à baisser la TVA sur les billets de train, voire imiter l’Allemagne qui affiche un tarif unique mensuel de 9€ pour les transports collectifs (hors avion), une économie de 1,8 millions de C02… Cela donne matière à penser, quand on sait que « c’est plus cher de prendre le train que l’avion». L’absurdité de notre monde reprend vite le dessus.

Bien que nous regardions encore ailleurs tandis que notre maison brûle, des efforts sont menés pour changer le paradigme de notre monde. Les limites planétaires ont été largement dépassées mais nous voyons apparaître des signaux faibles de changements, qui sont autant de lucioles venant éclairer nos chemins et nourrir nos espoirs. Dans le désordre, « la mobilisation contre la réforme des retraites, les marches pour le climat, l’engouement populaire autour de mouvements basés sur des luttes locales et une réappropriation des territoires par les citoyens fleurissent ici et maintenant. La révolution de l’altruisme est en marche. Bien que nous soyons élevés dans un climat de compétition aux antipodes de l’altérité et de l’entraide :« S’aider à l’école cela s’appelle de la triche » (sic Pablo Servigne), look up ! De plus en plus de combats  « contre des projets polluants s’organisent, des tiers-lieux émergent, les médias offrent une couverture de l’actualité  plus en prise avec la réalité écologique, et ce depuis cinq ans…». Offrir de nouveaux récits, créer de nouveaux imaginaires où « artistes et créateurs de contenus s’unissent », car l’union fait la force, « afin de mettre en scène un avenir désirable et de nouveaux comportements  face à l’urgence écologique. » La priorité étant de combattre les 425 bombes climatiques émettrices d’un milliard de tonnes de CO2 et proposer un monde suffisamment « juste », soutenable et cohabitable pour tous. « J’ai envie de croire à un monde nouveau et de continuer à être dans l’amour des autres et donc du vivant. » La biodiversité s’éteint et des sursauts de résistances écologiques s’éveillent. L’heure tourne, le soleil s’immisce dans notre conversation. Pour finir, Paloma nous confie que son rêve serait d’aller vivre près des côtes méditerranéennes car fascinée par les océans ou mers elle aime nager et se fondre avec l’élément eau. L’avenir se dessine sur le sable…  Alors, pour reprendre le titre de l’essai de Corinne Morel Darleux, coup de cœur de notre hôte « plutôt couler en beauté » (avec Paloma and co) « que flotter sans grâce ».

PALOMA MORITZ. JOURNALISTE. ANIMATRICE

Journaliste écologie et société @blast_france; Réalisatrice de docs (ex @Spiceemedia). Co fondatrice @Mieux_Voter

Mots & Photos : Ingrid Bauer

Partager :

Paloma Moritz, demain entre ses mains

L’été en pente douce essaime ses premières chaleurs et s’affale sur les côteaux de Paris. Un escalier fait retentir nos pas Paloma Moritz, journaliste et responsable du pôle écologie chez Blast, nous ouvre les portes de son appartement. Conversation animée autour de comment regarder et cohabiter le monde (autrement) avec le vivant.

Nous sommes des vivants parmi les vivants et nous dépendons du vivant pour survivre. Baptiste Morizot

L’œil vif, les pieds nus effleurant le parquet, Paloma nous raconte son parcours déjà long, comparé à son jeune âge « On a tous quelque chose à faire pour le monde ». À l’aune de ses vingt ans, La Vie devant soi, elle démarre des études à Science Po Paris.  En 2011 elle poursuit sa troisième année  en Californie, et assiste à la naissance du mouvement Occupy, qui  dénonce les inégalités sociales, se fait le porte-parole de l’urgence écologique et identifie les « premiers germes d’une crise systémique ». La jeune diplômée « peaufine sa vision du monde », en regardant beaucoup de documentaires. Paloma simule des COP et prend pour modèle l’ancien président des Maldives, Mohamed Nasheed, qui à l’époque s’est battu pour que son archipel ne sombre pas dans les eaux profondes. En 2015, la journaliste en herbe rédige, à Shanghai, son mémoire sur les problématiques écologiques face aux questions démocratiques et relève tous les matins les compteurs de pollution. À l’époque, tourne en boucle sur les réseaux le documentaire Under the dome, dénonçant la pollution atmosphérique en Chine. Les prémices d’un futur engagement la mènent vers La Promesse de l’aube d’une carrière de journaliste déterminée. Un parcours sans faille et sans reproche, avec la conscience d’avoir de la chance en poche : « j’ai toujours eu un sentiment d’absurdité sur notre monde ». Elle se fait la promesse de ne jamais rentrer dans une case et de faire bouger les lignes tout en ne cédant pas « à un des plus grands maux de notre société, l’apathie».  

Car oui l’écoanxiété n’épargne pas non plus celle qui se nourrit, décortique l’info, questionne ou interroge ses détracteurs, philosophes, économistes, activistes, artistes, scientifiques, qu’elle reçoit lors de grands entretiens. L’hyperactive réalise aussi des vidéos afin de vulgariser des notions d’écologie nous permettant de mieux comprendre et appréhender les questions environnementales. Vous connaissez la chanson ? Ou plutôt le proverbe chinois : « Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt ».  Informer, vulgariser, démocratiser, mais aussi faire rêver et tisser, inventer de nouveaux imaginaires, telles sont les missions de l’équipe du pôle écologie de Blast. Regarder le monde avec d’autres lunettes, c’est le mantra de Paloma. Avec Blast, besogneuse et travailleuse, elle ne lâche rien et insuffle un souffle alternatif à l’info. Son leitmotiv corrobore les mots du philosophe Baptiste Morizot: «Nous sommes des vivants parmi les vivants et nous dépendons du vivant pour survivre ». 

Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans politique.

Les yeux dans le bleu de Paloma, nous décentrons le regard et savourons ses paroles, celles d’une écoféministe, qui entend poursuivre son destin en défendant les droits des femmes, en redonnant du sens à la valeur travail et  sans dépolitiser l’écologie. À l’instar d’Hegel et de son célèbre verbatim : « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion.», tout porte à croire que « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans politique.» : le droit de vote des femmes, la contraception, les congés payés… « Tout est passé par de la conflictualité », se désole-t-elle. « Le danger de l’écologie est que cette dernière devienne apolitique. Les solutions face à l’urgence climatique, sont fondamentalement politiques».  Au vue des intérêts divergents de chacun et notamment ceux des industriels qui à coups de lobby ont débouté la Convention Citoyenne pour le Climat, « les solutions ne sont pas les mêmes pour tout le monde». Deux salles (ou perceptions), deux ambiances « caricaturales » ; D’un côté  le « solutionnisme technologique avec l’avion vert ou la viande de synthèse ». Cette foi en l’innovation nous rattrape à grand pas et nous cloue au sol. Et de l’autre, la course à la surproduction : « Aller chercher toujours plus de terres rares et numériser notre monde». « L’écologie suppose des conflits dans nos visions du monde » d’autant qu’elle n’est rarement accordé sur le tempo de justice sociale. « Les victimes du réchauffement climatique sont parmi les plus pauvres». Prenons la proximité des déchetteries ou  l’installation d’infrastructures polluantes dans les quartiers populaires, « aucune ne s’installe à Versailles ou en plein centre de Paris ». Les mesures favorisant la justice sociale, proposées lors de la Convention Citoyenne, «ont largement été détricotées par la loi climat.» Ce qui terrorise Paloma, ce sont « l’inaction des gouvernements et notre incapacité à bouger ». Nous nageons en plein déni collectif. Restent que les efforts communs doivent être nivelés « en fonction des inégalités sociales et économiques ». Même si cela est dur à entendre, oui  CQFD : « l’écologie doit rester politique pour changer notre vision du monde et notre relation  aux autres». Pratiquant la méditation et le yoga, Paloma soigne ses maux de l’humanité grâce aux signaux même faibles des citoyens d’ici ou d’ailleurs et fustige l’Homme d’avoir imposé « une hiérarchie entre nature et culture».

L'entraide à l’école, on appelle cela de la triche. Pablo Servigne

Comment cohabiter ensemble notre monde ? La question est posée. L’ordinateur gît sur la table, un silence passe. La jeune journaliste ne modère pas ses propos, quant à la responsabilité de l’appareil politique mais aussi des multinationales de l’industrie fossile et d’agroalimentaire. « Ce sont elles, qui ont fait de la désinformation sur le réchauffement climatique et ont retardé les négociations».  Créer de l’espace pour débattre, affronter les divergences, comparer les points de vue mais aussi les solutions, tel serait le vœu de la combattante. « Les choix politiques ne sont pas à la hauteur de l’urgence».  Il est nécessaire de « penser collectif et de remettre en cause l’organisation de nos sociétés », car pour l’instant tout  est conçu à  « court terme, ce  qui écarte de fait toutes les problématiques du climat et du vivant ». Paloma évoque quelques exemples de changements transitoires à mettre en place, comme la rénovation thermique de nos bâtiments. En France, douze millions de personnes sont encore en précarité énergétique, les aides au logement pourraient être plus largement communiquées et les artisans mieux formés.  Une autre solution pourrait consister à baisser la TVA sur les billets de train, voire imiter l’Allemagne qui affiche un tarif unique mensuel de 9€ pour les transports collectifs (hors avion), une économie de 1,8 millions de C02… Cela donne matière à penser, quand on sait que « c’est plus cher de prendre le train que l’avion ». L’absurdité de notre monde reprend vite le dessus.

Bien que nous regardions encore ailleurs tandis que notre maison brûle, des efforts sont menés pour changer le paradigme de notre monde. Les limites planétaires ont été largement dépassées mais nous voyons apparaître des signaux faibles de changements, qui sont autant de lucioles venant éclairer nos chemins et nourrir nos espoirs. Dans le désordre, « la mobilisation contre la réforme des retraites, les marches pour le climat, l’engouement populaire autour de mouvements basés sur des luttes locales et une réappropriation des territoires par les citoyens», fleurissent ici et maintenant. La révolution de l’altruisme est en marche. Bien que nous soyons élevés dans un climat de compétition aux antipodes de l’altérité et de l’entraide :« S’aider à l’école cela s’appelle de la triche » (sic Pablo Servigne), alors look up ! De plus en plus «de combats contre des projets polluants s’organisent, des tiers-lieux émergent, les médias offrent une couverture de l’actualité  plus en prise avec la réalité écologique, et ce depuis cinq ans…». Offrir de nouveaux récits, créer de nouveaux imaginaires où « artistes et créateurs de contenus s’unissent », car l’union fait la force, « afin de mettre en scène un avenir désirable et de nouveaux comportements  face à l’urgence écologique ». La priorité étant de combattre les 425 bombes climatiques émettrices d’un milliard de tonnes de CO2 et proposer un monde suffisamment « juste », soutenable et cohabitable pour tous. « J’ai envie de croire à un monde nouveau et de continuer à être dans l’amour des autres et donc du vivant». La biodiversité s’éteint et des sursauts de résistances écologiques s’éveillent. L’heure tourne, le soleil s’immisce dans notre conversation. Pour finir, Paloma nous confie que son rêve serait d’aller vivre près des côtes méditerranéennes car fascinée par les océans, les mers, elle aime nager et se fondre avec l’élément eau. L’avenir se dessine sur le sable…  Alors, pour reprendre le titre de l’essai de Corinne Morel Darleux, coup de cœur de notre hôte « plutôt couler en beauté » (avec Paloma and co) « que flotter sans grâce ».

PALOMA MORITZ. JOURNALISTE. ANIMATRICE

Journaliste écologie et société @blast_france

Réalisatrice de docs (ex: @Spiceemedia)

Co fondatrice @Mieux_Voter

Mots & Photos : Ingrid BAUER

Partager :

à lire aussi

Retour en haut