Francis Hallé, à l’ombre d’un géant

C’est sous un soleil radieux que nous interviewons Francis Hallé dans sa maison du sud de la France. Dehors son jardin s’offre à nous dans toute son exubérance et sa superbe avec en fond le brouhaha des cigales qui semblent nous seriner que rien ne sert de parler il faut encore et toujours savoir regarder !

UNE LIGNEE D’EXPLORATEURS…
 

Commençons peut-être par le commencement : Francis Hallé est le benjamin d’une famille de sept enfants, issue d’une lignée de voyageurs, médecins et artistes peintres, avides de découvertes et de pays lointains. Une généalogie en forme de programme pour ce botaniste qui a consacré une partie de sa vie à l’étude de l’écologie des forêts tropicales. C’est pendant la Seconde Guerre mondiale et alors qu’il se retrouve avec sa famille dans une propriété agricole d’à peine un hectare non loin de la forêt de Fontainebleau, qu’il comprend qu’un simple lopin de terre peut couvrir les besoins d’une famille nombreuse. Il en gardera une profonde admiration et un respect indéfectible pour la nature dans son ensemble, pour la forêt ensuite et enfin pour chacun des arbres qui la composent. Après l’obtention d’un doctorat en biologie végétale à l’Université de Montpellier il entreprend des recherches approfondies dans des régions tropicales reculées, notamment en Amazonie et en Afrique centrale mais aussi dans les îles marquises, les Galapagos, l’Australie, le Mexique, la Guyane, Sumatra, la Malaisie…

« LES ARBRES SONT TRÈS DISCRETS ILS FONT CE QU’ILS ONT À FAIRE ET C’EST À NOUS DE LES REMARQUER. »

Il en convient là où certains trouvent l’environnement difficile voire hostile, lui s’épanouit. On réalise assez rapidement que Francis Hallé n’est pas de ceux qui choisissent la facilité. Son intérêt pour les plantes est justement venu du sentiment tenace qu’il avait de ne pas les comprendre, de mesurer « leur altérité fondamentale » à l’inverse de ce qu’il peut éprouver pour les animaux par exemple. Il a donc étudié de près leur croissance, leur reproduction, leur structure et leurs interactions au sein des écosystèmes forestiers. Ses recherches ont abouti à des découvertes révolutionnaires, notamment sur l’architecture des arbres, qui explore la manière dont leur structure est adaptée pour maximiser la capture de lumière, la dissémination des graines et la résistance aux contraintes environnementales. Francis Hallé tient à rappeler dès qu’il le peut que cette nature que nous regardons parfois avec indifférence parfois avec curiosité est tout simplement la condition de notre présence. « Les arbres sont très discrets ils font ce qu’ils ont à faire et c’est à nous de les remarquer. » nous dit-il. Ainsi en parallèle de ses recherches, Francis Hallé s’est toujours investi pour sensibiliser le grand public à l’importance des forêts tropicales et notamment des forêts primaires, dévasté qu’il est d’avoir vu au cours de sa vie disparaître quasiment toutes les grandes forêts primaires de la terre. Il a partagé son savoir à travers des conférences, des livres et des documentaires, suscitant ainsi un intérêt mondial pour la préservation de ces écosystèmes précieux.

UN PASSEUR DE BEAUTÉ, DES RACINES À LA CIME…

Comme s’il n’avait pas déjà eu fort à faire, Francis Hallé est également un artiste talentueux, capturant la beauté des arbres à travers des croquis et des peintures. La photographie selon lui ne constitue pas une approche adaptée pour comprendre les arbres. Pas moins de deux ou trois heures sont nécessaires pour dessiner un grand arbre. Il y a de l’humilité dans sa pratique alliée à un infini respect pour ces splendeurs du vivant. Ses œuvres artistiques reflètent sa profonde connexion émotionnelle avec la nature et ont servi à sensibiliser le public à l’importance des arbres dans nos vies. Il déplore d’ailleurs que les scientifiques ne parlent jamais de la beauté considérant peut-être que le beau nait nécessairement de l’apport humain. Il travaille d’ailleurs à un livre sur le sujet de la beauté du vivant à paraitre en début d’année. Quand on lui demande quel est le souvenir qu’il garde de ses longues années passées dans ce compagnonnage étroit avec les arbres, il répond que c’est sûrement d’avoir vu cet appareil qui flotte sur la canopée. Une allusion aux expéditions du « Radeau des cimes », un dispositif d’étude original de la canopée des forêts tropicales, dont il a dirigé les missions scientifiques de 1986 à 2003. Quand on découvre des photos de ce grand nuage vert flottant poétiquement sur la cime des arbres, difficile de s’imaginer qu’il a permis à l’architecte, l’aéronaute et au botaniste Francis Hallé de faire le premier pas sur la canopée. Cette couche supérieure de la forêt dont la diversité biologique et l’écosystème se révéleront d’une richesse insoupçonnée. Une expérience hors normes qui lui a laissé cette fierté : avoir pu montrer à ceux qui vivaient à l’ombre des grands arbres la beauté de leur forêt vue d’en haut. Un passeur de beauté des racines à la cime.

LA RENAISSANCE D’UNE FORET PRIMAIRE EN EUROPE

Son projet  pour les siècles à venir, portée par son association, est de faire renaître de ses cendres, une forêt primaire en Europe de l’Ouest, sur un espace de 70000 hectares. Son objectif: préserver et mettre en valeur un écosystème forestier dans son état naturel, sans intervention humaine significative. L’objectif et l’ambition de ce projet, visent la préservation à long terme des forêts tropicales primaires, la recherche scientifique, l’éducation du public et la restauration des écosystèmes dégradés. En Europe, il existe encore une forêt primaire, celle de Białowieża, même si elle est fait face à des pressions humaines, au fil du temps. Située à cheval entre la Pologne et la Biélorussie, elle abrite une biodiversité exceptionnelle et est connue pour être le dernier refuge européen du bison d’Europe. Sous l’oeil de la photographe Andrea Olga Mantovani et les mots du philosophe Baptiste Morizot, l’ouvrage « S’enforester” immortalise ce dernier vestige naturel. Une forêt est considérée comme « primaire » si elle meurt deux fois. Le processus est très lent , car dépendant d’écosystèmes complexes et dynamiques en constante évolution.   Grosso modo, il faut attendre au moins 500 à 700 ans, avant de qualifier, une forêt de primaire. 

Francis Hallé.

Botaniste, biologiste et dendrologue. Ecologie des forêts tropicales et architecture de leurs arbres. 

Association Francis Hallé pour une forêt primaire

Bibliographie

30 ans d’exploration des canopées forestières tropicales font vivre et parler la forêt.

Francis Hallé : les vies heureuses du botaniste

 

Mots: Audrey Demarre

Photos : Alizée Bauer

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Francis Hallé, à l’ombre d’un géant

C’est sous un soleil radieux que nous interviewons Francis Hallé dans sa maison du sud de la France. Dehors son jardin s’offre à nous dans toute son exubérance et sa superbe avec en fond le brouhaha des cigales qui semblent nous seriner que rien ne sert de parler il faut encore et toujours savoir regarder !

UNE LIGNEE D’EXPLORATEURS

Les planches à dessins de Francis Hallé

Commençons peut-être par le commencement : Francis Hallé est le benjamin d’une famille de sept enfants, issue d’une lignée de voyageurs, médecins et artistes peintres, avides de découvertes et de pays lointains. Une généalogie en forme de programme pour ce botaniste qui a consacré une partie de sa vie à l’étude de l’écologie des forêts tropicales. C’est pendant la Seconde Guerre mondiale et alors qu’il se retrouve avec sa famille dans une propriété agricole d’à peine un hectare non loin de la forêt de Fontainebleau, qu’il comprend qu’un simple lopin de terre peut couvrir les besoins d’une famille nombreuse. Il en gardera une profonde admiration et un respect indéfectible pour la nature dans son ensemble, pour la forêt ensuite et enfin pour chacun des arbres qui la composent. Après l’obtention d’un doctorat en biologie végétale à l’Université de Montpellier il entreprend des recherches approfondies dans des régions tropicales reculées, notamment en Amazonie et en Afrique centrale mais aussi dans les îles marquises, les Galapagos, l’Australie, le Mexique, la Guyane, Sumatra, la Malaisie…

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« LES ARBRES SONT TRÈS DISCRETS ILS FONT CE QU’ILS ONT À FAIRE ET C’EST À NOUS DE LES REMARQUER. »

Il en convient là où certains trouvent l’environnement difficile voire hostile, lui s’épanouit. On réalise assez rapidement que Francis Hallé n’est pas de ceux qui choisissent la facilité. Son intérêt pour les plantes est justement venu du sentiment tenace qu’il avait de ne pas les comprendre, de mesurer « leur altérité fondamentale » à l’inverse de ce qu’il peut éprouver pour les animaux par exemple. Il a donc étudié de près leur croissance, leur reproduction, leur structure et leurs interactions au sein des écosystèmes forestiers. Ses recherches ont abouti à des découvertes révolutionnaires, notamment sur l’architecture des arbres, qui explore la manière dont leur structure est adaptée pour maximiser la capture de lumière, la dissémination des graines et la résistance aux contraintes environnementales. Francis Hallé tient à rappeler dès qu’il le peut que cette nature que nous regardons parfois avec indifférence parfois avec curiosité est tout simplement la condition de notre présence. « Les arbres sont très discrets ils font ce qu’ils ont à faire et c’est à nous de les remarquer. » nous dit-il. Ainsi en parallèle de ses recherches, Francis Hallé s’est toujours investi pour sensibiliser le grand public à l’importance des forêts tropicales et notamment des forêts primaires, dévasté qu’il est d’avoir vu au cours de sa vie disparaître quasiment toutes les grandes forêts primaires de la terre. Il a partagé son savoir à travers des conférences, des livres et des documentaires, suscitant ainsi un intérêt mondial pour la préservation de ces écosystèmes précieux.

UN PASSEUR DE BEAUTÉ, DES RACINES A LA CIME

Comme s’il n’avait pas déjà eu fort à faire, Francis Hallé est également un artiste talentueux, capturant la beauté des arbres à travers des croquis et des peintures. La photographie selon lui ne constitue pas une approche adaptée pour comprendre les arbres. Pas moins de deux ou trois heures sont nécessaires pour dessiner un grand arbre. Il y a de l’humilité dans sa pratique alliée à un infini respect pour ces splendeurs du vivant. Ses œuvres artistiques reflètent sa profonde connexion émotionnelle avec la nature et ont servi à sensibiliser le public à l’importance des arbres dans nos vies. Il déplore d’ailleurs que les scientifiques ne parlent jamais de la beauté considérant peut-être que le beau nait nécessairement de l’apport humain. Il travaille d’ailleurs à un livre sur le sujet de la beauté du vivant à paraitre en début d’année. Quand on lui demande quel est le souvenir qu’il garde de ses longues années passées dans ce compagnonnage étroit avec les arbres, il répond que c’est sûrement d’avoir vu cet appareil qui flotte sur la canopée. Une allusion aux expéditions du « Radeau des cimes », un dispositif d’étude original de la canopée des forêts tropicales, dont il a dirigé les missions scientifiques de 1986 à 2003. Quand on découvre des photos de ce grand nuage vert flottant poétiquement sur la cime des arbres, difficile de s’imaginer qu’il a permis à l’architecte, l’aéronaute et au botaniste Francis Hallé de faire le premier pas sur la canopée. Cette couche supérieure de la forêt dont la diversité biologique et l’écosystème se révéleront d’une richesse insoupçonnée. Une expérience hors normes qui lui a laissé cette fierté : avoir pu montrer à ceux qui vivaient à l’ombre des grands arbres la beauté de leur forêt vue d’en haut. Un passeur de beauté des racines à la cime.

LA RENAISSANCE D’UNE FORET PRIMAIRE

Son projet  pour les siècles à venir, portée par son association, est de faire renaître de ses cendres, une forêt primaire en Europe de l’Ouest, sur un espace de 70000 hectares. Son objectif: préserver et mettre en valeur un écosystème forestier dans son état naturel, sans intervention humaine significative. L’objectif et l’ambition de ce projet, visent la préservation à long terme des forêts tropicales primaires, la recherche scientifique, l’éducation du public et la restauration des écosystèmes dégradés. En Europe, il existe une forêt primaire, celle de Białowieża, même si elle n’est pas totalement exempte de pressions humaines au fil du temps.  Située à cheval entre la Pologne et la Biélorussie, elle abrite une biodiversité exceptionnelle et est connue pour être le dernier refuge européen du bison d’Europe. Sous l’oeil de la photographe Andrea Olga Mantovani et les mots du philosophe Baptiste Morizot, l’ouvrage « S’enforester” immortalise ce dernier vestige naturel. Une forêt est considérée comme « primaire » si elle meurt deux fois. Le processus est très lent , car dépendant d’écosystèmes complexes et dynamiques en constante évolution.   Grosso modo, il faut attendre au moins 500 à 700 ans, avant de qualifier, une forêt de primaire.

Francis Hallé.

Botaniste, biologiste et dendrologue. Ecologie des forêts tropicales et architecture de leurs arbres. 

30 ans d’exploration des canopées forestières tropicales font vivre et parler la forêt.

Francis Hallé : les vies heureuses du botaniste

Mots: Audrey Demarre

Photos : Alizée Bauer

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