Association Jiboaina, le temps de la forêt

Tout comme les glaciers qui vont bientôt venir fleurir le Panthéon de la Terre, l’Amazonie risque de disparaitre d’ici 40 ans. Cinq leaders de peuples autochtones du Brésil ont quitté leur territoire pour promouvoir leur culture et interpeller les parlementaires européens, et ce à travers l’association Jiboaiana.

« Les femmes sont la terre »
 

Au fond d’une impasse de Bagnolet, nous voilà accueillies par les sourires de Léo Landon et Laetitia Jeanpierre-Berraud de l’association Jiboaiana. Le stress subordonné par nos esprits parisiens disparaît. Il se met au diapason du temps de la forêt. Quelques minutes suspendues, un café et un croissant plus tard, Bixku Huni Kuin, Nawa Siã Huni Kuin, Thaline Iny Karajá et Suhyasun Pataxó de la forêt Atlantique nous rejoignent, parés de leur coiffe et maquillés selon la tradition. Trois jours de voyage pour la plupart d’entre eux, qui ont quitté leur jungle pour rejoindre celle du béton. Leur parure n’est pas un acte folklorique, il a une signification spirituelle et le maquillage, acte fondateur et symbolique, détermine leur place en tant qu’homme ou femme dans la tribu. Pour la femme, nous explique Thaline, « il est interdit de porter une coiffe. » Le patriarcat faisait loi, il n’y a pas si longtemps que ça. « Les femmes sont la terre » souligne Suhyasun. Tout comme la danse, où il n’appartient qu’aux hommes d’y entrer lors de cérémonies holistiques. Lors de la dernière édition du Campement Terres Libres, en avril dernier à Brazilia, Thaline qui a aussi participé à The Voice est entrée dans la ronde. Quelques larmes naissent sur son visage. Les hommes ici présents les ont toujours soutenues et ont été favorables à la déconstruction du machisme, dans les communautés. Ils sont principalement défenseurs des droits des femmes-médecins, appelées aussi « chamanes ». La conversation se poursuit. Des couvertures sont portées afin de pallier la différence de températures ; Paris, 20 °C au compteur, et là-bas, 46 °C.

« L’arbre ne peut plus jouer son rôle de régulateur de température. »
 

Thaline s’exprime à propos de la crise climatique. Dans l’île de Bananal, « Nous souffrons de l’agriculture productiviste. Nos territoires sont dévastés, cela est dû aux plantations excessives de soja ou de canne à sucre. Nos terres sont rasées. » L’agriculture industrielle salit l’eau du rio et déséquilibre les écosystèmes. On parle de l’effet papillon… Les forêts et leurs peuples sont au bout de la chaîne et subissent durablement les conséquences. Les rios sont asséchés, l’air est réchauffé, « l’arbre ne peut plus jouer son rôle de régulateur de température », les animaux meurent comme les Boto (dauphins roses) en raison des températures élevées. Cela contribue à faire grandir la misère et la pauvreté. Les agriculteurs perdent aussi leurs propres cultures. Dans la région de Tapajos, le bois est convoité de manière illégale, tout comme l’orpaillage. À la suite du rejet d’éléments toxiques dans l’eau autorisé à nouveau pendant l’ère Bolsonarienne et aux cultures sous pesticides rasant tous les territoires, les habitants des villages limitrophes tombent malade. Les femmes ne peuvent plus allaiter, car elles ont du mercure dans le sang. Beaucoup de gens sont morts de contaminations. Au-delà de ces problèmes d’eau, une sécheresse intense sans précédent, alimente les feux de forêts. Quant au rio Hamza, un aquifère (source d’eau potable) découvert en août 2011, qui relie l’Amazonas à Santareim, Thaline nous apprend qu’il est pollué. D’une profondeur de 4 000 mètres, ce corridor souterrain pourrait donner de l’eau à la population mondiale pendant près de 400 ans. À Manaus, l’air est constamment pollué. Malgré ce contexte catastrophique et alarmant, leur venue à Paris, à Londres puis Bruxelles a pour but de sensibiliser l’ensemble des politiques et du grand public à ces problématiques, mais aussi de déstigmatiser les peuples autochtones. Aujourd’hui beaucoup de Brésiliens pensent qu’ils sont un frein à l’économie. Au contraire, ces gardiens de la forêt savent mieux que quiconque comment préserver et sauvegarder ce patrimoine vivant. « Arrêtons les stéréotypes. »

« Nous sommes la nature et nous n’appelons pas à la lutte pour les forêts»
 

Petit récapitulatif historique… Le Brésil était un pays entièrement autochtone, et à partir de la colonisation portugaise, en 1500, les colons sont arrivés avec leur culture. C’est à ce moment-là que le réchauffement climatique est arrivé et qu’ils ont balayé toutes leurs coutumes. « Nous n’avons que 6 % du territoire. Avant, nous marchions dans la forêt, traversions les rios; Il n’y avait aucune démarcation de territoires.  », se désole le gardien de l’Amazonie. « Nous ne faisons pas partie de la nature. Nous sommes la nature et nous n’appelons pas à la lutte pour les forêts. » Une parole si juste que l’émotion pointe à nouveau son regard. Le documentaire Exterminez toutes ces brutes de Raoul Pecq résonne, qui montre Christophe Colomb débarquant en Amérique exterminant à coups d’armes blanches ces « sauvages », comme il aimait les appeler. La différence les a effrayés, alors qu’on sait à quel point la multiplicité des ethnies fait la richesse d’un peuple. Le phénomène de l’agrégation. « J’aimerais que le monde ne nous regarde pas comme autochtone mais comme une grande famille. Nous luttons pour une vie meilleure. » La préservation du vivant est une cause universelle. Pour donner corps à leur message et éduquer les politiques, l’association Jiboaiana organise des séjours immersifs avec les délégations dans le village Pinuya, littéralement le village des colibris. En 2022, des lois sur la protection de la biodiversité ont été votées et leur survie est donc actée. Un souffle d’espoir accompagne nos cœurs jusqu’ici endoloris.

Association Jiboaina.

Donation pour le plan de reforestation en Amazonie avec le peuple autochtone Huni Kuin : ici 

Mots : Ingrid Bauer
Photos : Alizée Bauer

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©Leo Landon

Association Jiboaina, le temps de la forêt

Tout comme les glaciers qui vont bientôt venir fleurir le Panthéon de la Terre, l’Amazonie risque de disparaitre d’ici 40 ans. Cinq leaders de peuples autochtones du Brésil ont quitté leur territoire pour promouvoir leur culture et surtout interpeller les parlementaires européens, et ce à travers l’association Jiboaiana.

« Les femmes sont la Terre »

 

Au fond d’une impasse de Bagnolet, nous voilà accueillies par les sourires de Léo Landon et Laetitia Jeanpierre-Berraud de l’association Jiboaiana. Le stress subordonné par nos esprits parisiens disparaît. Il se met au diapason du temps de la forêt. Quelques minutes suspendues, un café et un croissant plus tard, Bixku Huni Kuin, Nawa Siã Huni Kuin, Thaline Iny Karajá et Suhyasun Pataxó de la forêt Atlantique nous rejoignent, parés de leur coiffe et maquillés selon la tradition. Trois jours de voyage pour la plupart d’entre eux, qui ont quitté leur jungle pour rejoindre celle du béton. Leur parure n’est pas un acte folklorique, il a une signification spirituelle et le maquillage, acte fondateur et symbolique, détermine leur place en tant qu’homme ou femme dans la tribu. Pour la femme, nous explique Thaline, « il est interdit de porter une coiffe. » Le patriarcat faisait loi, il n’y a pas si longtemps que ça. « Les femmes sont la terre » souligne Suhyasun. Tout comme la danse, où il n’appartient qu’aux hommes d’y entrer lors de cérémonies holistiques. Lors de la dernière édition du Campement Terres Libres, en avril dernier à Brazilia, Thaline qui a aussi participé à The Voice est entrée dans la ronde. Quelques larmes naissent sur son visage. Les hommes ici présents les ont toujours soutenues et ont été favorables à la déconstruction du machisme, dans les communautés. Ils sont principalement défenseurs des droits des femmes-médecins, appelées aussi « chamanes ». La conversation se poursuit. Des couvertures sont portées afin de pallier la différence de températures ; Paris, 20 °C au compteur, et là-bas, 46 °C.

« L’arbre ne peut plus jouer son rôle de régulateur de température. »

 

Thaline s’exprime à propos de la crise climatique. Dans l’île de Bananal, « Nous souffrons de l’agriculture productiviste. Nos territoires sont dévastés, cela est dû aux plantations excessives de soja ou de canne à sucre. Nos terres sont rasées. » L’agriculture industrielle salit l’eau du rio et déséquilibre les écosystèmes. On parle de l’effet papillon… Les forêts et leurs peuples sont au bout de la chaîne et subissent durablement les conséquences. Les rios sont asséchés, l’air est réchauffé, « l’arbre ne peut plus jouer son rôle de régulateur de température », les animaux meurent comme les Boto (dauphins roses) en raison des températures élevées. Cela contribue à faire grandir la misère et la pauvreté. Les agriculteurs perdent aussi leurs propres cultures. Dans la région de Tapajos, le bois est convoité de manière illégale, tout comme l’orpaillage. À la suite du rejet d’éléments toxiques dans l’eau autorisé à nouveau pendant l’ère Bolsonarienne et aux cultures sous pesticides rasant tous les territoires, les habitants des villages limitrophes tombent malade. Les femmes ne peuvent plus allaiter, car elles ont du mercure dans le sang. Beaucoup de gens sont morts de contaminations. Au-delà de ces problèmes d’eau, une sécheresse intense sans précédent, alimente les feux de forêts. Quant au rio Hamza, un aquifère (source d’eau potable) découvert en août 2011, qui relie l’Amazonas à Santareim, Thaline nous apprend qu’il est pollué. D’une profondeur de 4 000 mètres, ce corridor souterrain pourrait donner de l’eau à la population mondiale pendant près de 400 ans. À Manaus, l’air est constamment pollué. Malgré ce contexte catastrophique et alarmant, leur venue à Paris, à Londres puis Bruxelles a pour but de sensibiliser l’ensemble des politiques et du grand public à ces problématiques, mais aussi de déstigmatiser les peuples autochtones. Aujourd’hui beaucoup de Brésiliens pensent qu’ils sont un frein à l’économie. Au contraire, ces gardiens de la forêt savent mieux que quiconque comment préserver et sauvegarder ce patrimoine vivant. « Arrêtons les stéréotypes. »

« Nous sommes la nature et nous n’appelons pas à la lutte pour les forêts. »

Petit récapitulatif historique… Le Brésil était un pays entièrement autochtone, et à partir de la colonisation portugaise, en 1500, les colons sont arrivés avec leur culture. C’est à ce moment-là que le réchauffement climatique est arrivé et qu’ils ont balayé toutes leurs coutumes. « Nous n’avons que 6 % du territoire. Avant, nous marchions dans la forêt, traversions les rios; Il n’y avait aucune démarcation de territoires.  », se désole le gardien de l’Amazonie. « Nous ne faisons pas partie de la nature. Nous sommes la nature et nous n’appelons pas à la lutte pour les forêts. » Une parole si juste que l’émotion pointe à nouveau son regard. Le documentaire Exterminez toutes ces brutes de Raoul Pecq résonne, qui montre Christophe Colomb débarquant en Amérique exterminant à coups d’armes blanches ces « sauvages », comme il aimait les appeler. La différence les a effrayés, alors qu’on sait à quel point la multiplicité des ethnies fait la richesse d’un peuple. Le phénomène de l’agrégation. « J’aimerais que le monde ne nous regarde pas comme autochtone mais comme une grande famille. Nous luttons pour une vie meilleure. » La préservation du vivant est une cause universelle. Pour donner corps à leur message et éduquer les politiques, l’association Jiboaiana organise des séjours immersifs avec les délégations dans le village Pinuya, littéralement le village des colibris. En 2022, des lois sur la protection de la biodiversité ont été votées et leur survie est donc actée. Un souffle d’espoir accompagne nos cœurs jusqu’ici endoloris.

Association Jiboaina.

Donation pour le plan de reforestation en Amazonie avec le peuple autochtone Huni Kuin : ici 

Mots : Ingrid Bauer 
Photos : Alizée Bauer

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