High fahrenheit, take a flight!

par Fredérique Barraja

Tout commence par cette phrase d’un climatologue : « Paris deviendra une fournaise polluée et Marseille sera engloutie sous les eaux. Il va rester très peu d’endroits ou l’homme pourra vivre convenablement à la fin de ce siècle : montées des eaux, fontes des glaciers, canicules à répétition, sécheresses, pollutions, virus ».

Juillet 2022, le ministre nous a demandé de couper la Wifi pour économiser l’énergie. Les centrales électriques ferment car les rivières pour les rafraichir, manquent d’eau. Hiver 2023 le gouvernement demande à ce que nous réduisions notre chauffage à 19 degrés.

Personne n’a l’air affolé par ce qui nous attends. Ni mes congénères ni les gouvernements. Avons-nous perdu tout sens de l’essentiel ?

L’humain est issu de la nature, de cette terre, notre organisme, notre désir de vivre, ce qui nous apparentes aux autres êtres vivants, a besoin d’eau et d’oxygène. Pourtant nous continuons de faire semblant, nous n’arrêtons pas de consommer, de polluer nos océans, nos montagnes, de déraciner nos arbres ? Cette négativité active de l’homme est-elle un déni pour ne pas qu’il sombre dans la dépression face à un tel désastre ?

Comment vivre avec l’idée que dans un futur, de plus en plus proche, l’humain reviendra à ses fondamentaux : trouver de l’eau potable et de l’air respirable.

Je pars au Pôle nord. 78°, symbole du réchauffement climatique. J’ai besoin de comprendre, de me rapprocher du point le plus névralgique. De photographier notre essence et ce qui ne va plus être. La photographie est le prolongement de mon être. Je regarde depuis plus de trente ans à travers ce prisme. L’image fait appel à notre sensation plutôt que n’importe quel discours. Le prisme de la photographie à cette force d’embellir le laid comme il peut enlaidir le beau, tout dépend du regard qu’on pose sur les choses, l’image parle plus souvent du photographe que de son sujet. Elle transforme la réalité pour devenir la réalité du photographe celle qu’il voit, qu’il vit, qu’il interprète ou peut-être qu’il rêve. Ces images ne sont que ma réalité. J’aime à penser que le beau atténue les douleurs. Se reconnecter avec la nature, se purifier avec le blanc de la neige, remplacer les bleus de l’âme par le bleu de la glace. Je veux vous montrer le beau avant qu’il ne disparaisse.

Le Svalbard est l’endroit du monde qui se réchauffe le plus vite, 5 fois plus que le reste de la planète. C’est une terre sentinelle : ce qui arrive là-bas, nous arrivent bientôt.

Ces montagnes me fascinent, je les ai effleurées, contemplées, grimpées, elles sont uniques. J’avais besoin de cette rudesse pour retrouver ma douceur.

Mes images sont organiques, parfois abstraites, elles montrent paradoxalement la finitude et l’infini à la fois.La beauté de cette immensité me happe, en met plein les yeux. Toutes ces nuances de blanc, ce pantone de gris dévoilent malgré tout une grande tristesse.

Depuis des millénaires toutes nos pollutions de l’air et de l’océan remontent avec les courants jusqu’aux deux pôles et se sont retrouvées emprisonnées dans les moindres recoins de glace, de neige, de givre.  Aujourd’hui ces 39 000 km2 de terres gelées, fondent à vue d’œil. Le soleil n’est plus arrêté par le blanc de la glace, les rayons plongent dans l’eau et réchauffe l’océan.

L’homme qui s’était installé dans certaines îles du Spitzberg pour y extraire du charbon, s’est enfui dès que cette énergie n’a plus été rentable, laissant derrière lui une pollution minière. Aucune route ne permet d’atteindre la ville de Barentsburg. Mon appareil photo fige ces immeubles, sortant du sol enneigé, qui me laissent imaginer le passage de l’homme.

Je n’ai jamais ressenti autant la présence de l’être humain sur mes images que dans cette absence.L’embâcle et la débâcle de la banquise sont avancées dans le calendrier.

Il est de mon devoir d’artiste de témoigner de ce bouleversement présent et à venir. J’ai quitté la montagne comme on quitte un homme, avec de la mélancolie, des souvenirs plein la tête, l’envie d’y revenir mais la certitude que cela n’arrivera pas.

                                                                                                                                 Frédérique Barraja

Exposition Studio de production À la Plage. 12 rue du Delta. Paris 9. À partir du 10 mars. 

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