Debout les morts… avec Pierre Poivre, le pirate des Isles de France

Ci-gît un portrait de feu, l’horticulteur, agronome, explorateur conquérant des épices, des vignes ou des fruitiers qu’il a domestiqués dans les îles exotiques pour les rapporter en France et en Europe.

L’agriculture seule est un facteur de richesse et une ressource renouvelable, à condition qu’elle soit exploitée avec clairvoyance et mesure 

Né en 1719 à Lyon, il a étudié la théologie avant de devenir missionnaire jésuite et de partir en Asie pour évangéliser. Nous le retrouvons dans son embarcation, le Dauphin, à son retour d’évangélisation en Extrême Orient. Il perd alors son bras droit lors de l’attaque de son navire par des vaisseaux de guerre anglais. Emprisonné à Batavia, actuellement Djakarta, il est amputé du bras et met fin à ses vœux d’entrée dans les Ordres, ne pouvant bénir de la main gauche. Son destin bascule; Il commence à s’intéresser à la botanique. 

Nous sommes en 1745. Convaincu que ” l’agriculture seule est un facteur de richesse et une ressource renouvelable, à condition qu’elle soit exploitée avec clairvoyance et mesure”, l’apprenti agronome, décide de partir à la conquête des épices afin de briser le monopole hollandais. Ambitieux et téméraire ce Poivre ! Tel Ulysse, il entame alors un beau voyage, convoitant essentiellement le clou de girofle et la noix de muscade qu’il importe clandestinement depuis les Philippines et les Moluques.

A l’époque, les épices étaient très convoitées comme aujourd’hui le pétrole et demain l’eau, car c’était un commerce très juteux pour tout colon qui se respecte. Sieur Poivre brave ainsi tous les dangers et son entreprise de “flibustier des épices”, est d’ailleurs soutenue par le roi, Louis XV, à travers la Compagnie des Indes Orientales. Quelques années plus tard ce pirate des îles se verra anoblir par le roi. 

Mais revenons à nos narines… Ses explorations le mènent par la voile au bout du nez vers la collecte d’épices mais aussi de plantes médicinales ou des fruits exotiques comme le litchi, le jacquier, la mangue, etc… Maniant les langues O à la perfection, Pierre Poivre réussit à s’emparer de toutes sortes de plants afin de les acclimater aux îles de France (Ile Maurice) et de Bourbon (Réunion). Tambour battant, il importe des plantes indigènes comme le poivre de Sichuan, la cannelle… ou des plants de vignes depuis la Chine. Ce passionné de la nature a également introduit, en France, le riz et le thé.

« La nature a tout fait pour l’Isle de France : les hommes y ont tout détruit ».

Cet aventurier des grandes mers est avant tout un humaniste et quand il est proclamé en 1766 intendant de l’Isle de France et de Bourbon, il y condamne fortement l’esclavage, le luxe qu’il juge scandaleux « dans une île qui manque de pain» et surtout décrète des lois écologiques veillant à protéger les forêts, les montagnes, les ressources en eau et l’agriculture : « Des hommes avides et ignorants (…) ont ravagé l’île, en détruisant les bois par le feu (…) et n’ont laissé́ à leurs successeurs que des terres arides, abandonnées par les pluies, exposées sans abri aux orages et à un soleil brûlant ». Conscient que notre planète n’avait pas de ressources inépuisables : « La nature a tout fait pour l’Isle de France : les hommes y ont tout détruit », ce navigateur intrépide est également connu pour ses efforts dans la promotion de l’agriculture et l’horticulture en France et en Europe.

Deux siècles et demi plus tard, nous retrouvons les traces de cet aventurier humaniste et découvrons son leg, situé à l’Ile Maurice, le Jardin de Pamplemousse. Sans ambage, on peut le qualifier de plus beau jardin botanique au monde; 37 hectares où prospèrent 95 espèces de palmiers, une collection d’arbres à en faire pâlir Nicolas le jardinier, les fameux nénuphars géants et autres merveilles de la nature. Un véritable paradis sensoriel haut en couleurs conçu par feu Pierre Poivre, sans qui vous n’auriez pas pu réussir vos pains perdus à la cannelle.

Mots : Ingrid Bauer

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