Paris en vert, utopie ou les futurs jardins de Babylone?

Que sont des jardins suspendus ? Un paysage naturel ou un jardin paysager ? Penseurs contemporains, philosophes et artistes ont longtemps débattu sur cette opposition entre jardin et nature, nous allons tenter d’y répondre, sous l’angle d’une table ronde animée récemment par l’éminent paysagiste Michel Desvigne.

Lors de l’exposition « Jardins supendus » de Michel Desvigne, à la Galerie de l’Architecture, le paysagiste Alexandre Chemetoff, le botaniste Patrick Blanc, le président du Centre Pompidou Laurent Le Bon et le philosophe Gilles.A.Tiberghien, ont conversé autour de la thématique des jardins hors sol, et ce en parallèle du Paris en vert, tout juste voté.

De Babylone à Paris

Le jardin suspendu se décrit comme étant un jardin construit dans un lieu insolite, nécessitant de ce fait, l’intervention technique de la main de l’Homme. Le plus connu historiquement est sans aucun doute le Jardin de Babylone, que nous ne pouvons malheureusement pas voir de nos propres yeux, puisqu’il a existé durant l’antiquité, au VIe siècle av. J.C. Il est tant adulé qu’il est considéré comme étant une des sept merveilles du monde antique. Aujourd’hui, on ne peut qu’observer longuement les vues d’artistes dessinées, peintes, ou modélisées en 3D pour se projeter. On y voit ainsi des arbres s’élever sur des terrasses, des buissons tombant sur les étages inférieurs, des fontaines s’écoulant au milieu des tapis vert, une nature pour le tout, luxuriante, allant peut-être parfois un peu plus loin que la réalité des faits. Mais le constat est là, la cité et le jardin ne font qu’un, et nos habitations et la nature sont au même plan. Comment se fait-il que le simple visionnage de ces images nous fasse tant rêver, et nous transporte dans une sensation de bien-être ? Selon le botaniste Patrick Blanc, « les jardins suspendus ne seraient pas une prouesse réservée à la main humaine. »  En effet, le botaniste projette une série d’images montrant tout type d’écosystème vivant dans des milieux parfois hostiles, là où on ne les aurait jamais imaginés. Des ilots complètement isolés débordant d’une diversité végétale folle, des plantes s’agrippant à des masses informes et incongrues, ou encore, sur des roches abruptes s’élevant à des milliers de mètre dans le ciel, où prennent place à leur sommet, des arbres, des buissons, aussi nombreux que si un homme avait décidé de planter un jardin en haut d’un gratte-ciel. Est-ce que nous ne ferions alors pas une fois de plus, qu’imiter la nature ? Et si « singer » cette nature était d’avoir des jardins suspendus comme à Babylone ? De ce fait, un des caractères esthétiques immédiats du jardin suspendu est sa verticalité. Et celle-ci ne serait donc pas une de nos inventions, comme une adaptation à la forme de nos bâtisses qui s’élèvent au ciel, mais bien plus une imitation inconsciente de ce qui nous fait nous sentir bien, et qui ressemble donc à cette nature primordiale, existant à la fois à l’horizontal et au vertical. La nécessité de verticalité pour faire nature, expliquerait par exemple, notre attachement aux murs végétaux. Votre rêve ne serait-il pas d’ouvrir la fenêtre de votre appartement parisien et de vous sentir perché comme si vous habitiez une cabane en haut d’un arbre au milieu d’une forêt ? À l’image de la vision actuelle des jardins de Babylone, nous allons peut-être un peu loin, mais l’idée est là, se reconnecter avec nos besoins primaires de nature, sans déroger à nos nouveaux besoins de société.

Un jardin dans la ville

Comme nous l’avons énoncé plus tôt, le besoin de nature en ville est donc indéniable, mais y planter une forêt tropicale semble un peu trop complexe. C’est pourquoi l’homme a inventé les jardins. Sans être une reproduction parfaite de la flore à l’état sauvage, ceux-là sont davantage l’incarnation de l’idée de nature. Et celle-ci semble suffire à créer un apaisement imminent, il n’y a qu’à observer le peu de parcs présent à Paris, pour les voir pris d’assaut lors d’un long dimanche ensoleillé. Cependant il manque à ses parcs, ladite dimension plus typique des jardins suspendus, la verticalité. En créant de véritables jardins enveloppant tous les pans de la ville, la sensation de nature n’en serait que plus forte. Bien sûr, en plus d’être juste belle, cette couverture végétale, aurait énormément de bénéfices sur la vie citadine. Plus de zones ombragées et une condensation accrue créées par les plantes pour tempérer le climat, une absorption non négligeable du CO2 émis par nos activités polluantes mais aussi le développement d’une biodiversité perdue. Il est temps donc, de faire entrer le Jardin dans la ville.

Un acte éco-politique pour un nouveau monde poétique

« Le jardin est indissociable d’une impulsion artistique » souligne fermement le philosophe Gilles A Tiberghein. Sans comparer le jardinier à un artiste de Land Art, il semble évident que lors d’une visite de jardins d’éminents paysagistes, le sentiment de traverser un univers fondamentalement humain nous empare, comme un voyage à l’intérieur de l’esprit de celui qu’il l’a créé. Ainsi le jardin est indissociable de notre humanité, et il ne faudrait pas chercher à la cacher. C’est peut-être bien cela qui est intéressant, en croisant ainsi le monde végétal, à nos mondes intérieurs, nous créons le nouveau monde, où société, ville et nature ne font qu’un. Le Jardin est donc une incarnation poétique de notre humanité croisée à la beauté du végétal, ensemble, ils célèbrent une nouvelle vie, et la ville est le parfait territoire pour la faire naitre. Suspendre des jardins à nos murs, à nos terrasses et nos toits, est en ces dires, un acte éco-politique, prouvant que les mondes que nous avons tant séparés sont en réalité faits pour se côtoyer et s’aimer. En faisait foi de notre poésie, de notre regard désirant la beauté, nous pouvons créer ce nouveau monde où la ville n’est plus une souffrance mais l’incarnation de notre humanité valeureuse, en adéquation (presque) parfaite avec le reste du vivant. Paris peut prendre ce pas, être l’exemple parmi tant d’autres villes pour devenir comme Babylone à son époque, une nouvelle merveille du monde, faisant un jour rêver les générations futures, si elles se perdent comme nous encore un temps…

GALERIE DE L’ARCHITECTURE

Exposition “Jardins suspendus” de Michel Desvigne. Jusqu’au 17 avril

11 Rue des Blancs Manteaux, 75004 Paris

 

Mots : Alizée Bauer
Photographies : Portrait © Vincent Mercier – Michel Desvigne. 

Partager :

Michel Désigne
North wind pictures archive. Alamy
Mur végétal ©Patrick Blanc
Seven Wonders Of The World Mesopotamia Hanging Gardens Of Babylon In Antiquity Colourful Engraving Of The 19th Century
Jardin de lan Hamilton Finlay, Ecosse. ©yellow book ltd
Pinnacle Rock. Blyde River Canyon, Mpumalanga, South Africa. ©Richard Lin
Villa M. Boulevard Pasteur. Paris. ©Yann Monel
© L-A F. pour Batiactu
Retour en haut