Alexandre Couillon, la bonne étoile

Le chef du restaurant La Marine à Noirmoutier-en-l’Île obtient, en mars dernier, une troisième étoile au guide Michelin grâce à une cuisine intime et soucieuse du monde de demain.

Les bruits de haubans résonnent dans le port de l’Herbaudière, le ciel est gris et les mouettes attendent avec impatience le retour des pêcheurs. En face, le restaurant gastronomique La Marine, maison blanche, porte noire, accrochées à la façade des plaques estampillées : Le Guide du routard, Gault&Millau, Guide Michelin. Céline Couillon, sa partner in crime à la scène comme à la ville nous apporte un café, accompagné d’un sucre brun en forme de crustacé. Plus d’une trentaine de personnes s’affairent à la tâche pour sustenter les heureux convives qui arriveront dans quelques heures pour déjeuner. Alexandre Couillon, tout sourire, cheveux courts, barbe de trois jours, tablier blanc au col Mao, quitte sa cuisine pour nous rejoindre, les doigts encore noircis par les artichauts qu’il est en train de préparer.

Des racines sénégalaises. Dans les années 1970, son père marin-pêcheur à la crevette à Noirmoutier, quitte l’île pour travailler près des côtes africaines, sa mère, couturière dans une usine à La Roche-sur-Yon, plaque tout pour le retrouver. Alexandre et son frère, naissent à Dakar « Toutes mes racines sont là-bas, mon père parlait le wolof, j’ai plein de souvenirs de mon enfance au Sénégal. » Il envisage peut-être même un jour de « donner de son temps afin de créer un centre de formation pour cette terre qui l’a accueilli et dont il se sent proche ». De cet âge tendre, il garde aussi les réminiscences olfactives des marchés ; l’odeur du bois, de l’ébène, de braisée  que l’on retrouve dans ses plats «  avant d’être visuelle, l’assiette doit être un parfum. » À 7 ans, il revient vivre à Noirmoutier, il y conserve un doux souvenir de liberté, « quand on est gamin sur  l’île, on pêche, on fabrique des cabanes, on va à la plage, on est un peu comme Tom Sawyer ». Le jeune garçon est rêveur, mais aime être dans l’action, faire des choses concrètes, l’école l’ennuie. C’est en regardant un reportage à la télévision sur des artisans, qu’il décide de se former à un métier. L’apprenti-cuisinier passe un CAP, puis poursuit sa formation chez les Compagnons de France à Nantes, où il apprend « tout ce que veut dire cuisiner : l’artisanat, la table, l’assiette ». Après une année à l’armée où il s’est « bien marré », il reprend avec sa compagne le restaurant acheté quelques années auparavant par ses parents La Table d’Élise.

Revenir à l’essentiel. Les débuts sont rudes, mais le couple, s’accroche pour ne pas quitter le navire. Et le travail paye, les critiques sont dithyrambiques, ils décrochent une première étoile au guide Michelin en 2007. Alexandre Couillon, prend confiance en lui « Ça me rassure d’être dans ma cuisine, entouré de cette faïence blanche je me sens protégé. » Tout s’enchaîne. Il achète un terrain pour cultiver ses fruits et légumes et servir seulement ce que son potager lui donne, ouvre un labo pour fabriquer son pain à partir de céréales cultivées sur place, achète son poisson aux pêcheurs du coin et retire la viande de ses menus « On élabore les plats au jour le jour, le matin on remplit la chambre froide et le soir, il n’y a plus rien. ». Le chef défend une cuisine responsable avec des produits de saisonnalité et de proximité ; à la carte asperges braisées, maquereau de petite pêche betterave et persil, laitue de Mer, sarrasin et caramel, agrumes… Une cuisine marine et végétale, avec un menu composé minute pour une vingtaine de personnes par service « Il faut arrêter de toujours trop faire, revenir à l’essentiel, c’est ça l’engagement dans l’écoresponsabilité. » Et engagé Alexandre Couillon l’est, même jusqu’à donner le nom d’une catastrophe écologique à l’un de ses plats devenu emblématique « l’huître Erika », en souvenir du pétrolier échoué en 1999 au large de la Bretagne entrainant une des plus grosses marées noires française. Une cuisine épurée et durable qui plait, les critiques sont unanimes et dithyrambiques : « audacieuse », « extraordinaire », « inoubliable ».

Le partage et la transmission. L’artiste cuisiner, ne parle jamais de son travail à la première personne, il emploie le pronom « on », pour inclure sa femme et ses équipes. C’est un homme fidèle et sentimental, qui met un point d’honneur à rendre ses convives heureux  « Il faut apprendre à connaître nos hôtes, ils passent plusieurs heures à table pour fixer un moment de leur vie un anniversaire ou autre, c’est important. » Pour l’amateur de musique (Limousin est son groupe du moment) et collectionneur de vinyles, « Il est vital de transmettre la culture du goût, c’est aussi important que la littérature ou le cinéma. » Il sourit fièrement lorsqu’il évoque les nombreux messages reçus par de jeunes cuisiniers qui souhaitent se former à La Marine.

Le chef au débit mitraillette, reconnaît qu’il aimerait avoir plus de temps pour lui, reprendre la course à pied, lire plus « J’achète tout un tas de livres, et ça s’empile, je me dis qu’un jour je les lirai… » On a du mal à imaginer cet hyperactif, assis dans un rocking chair à regarder la mer « J’ai beaucoup d’admiration pour les navigateurs, ça me ferait peur d’être comme au milieu de l’océan, de l’infini. » Nous c’est pour lui qu’on a de l’admiration à l’infini.

 

ALEXANDRE COUILLON 

47 ans. Chef trois étoiles 
Restaurant : La table marine & végétale 
Humeur : revenir à l’essentiel 

Mots : Jessica Bros
Photographies : @lamarineetvégétale

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