Emmanuel Tibloux, l’Art (décoratif) de cultiver le Beau et l’Utile
Emmanuel Tibloux, dirige depuis plus de quatre ans la mythique École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. À la proue de son navire, un écosystème de 800 « transformateur·ices » du monde de demain, designers, stylistes, architectes, artistes… Rencontre avec le générateur des acteurs des 2030 Glorieuses.
Comment habiter le monde aujourd'hui ?
Il est midi, nous franchissons le seuil de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, communément appelé les Arts-Déco, lieu de foisonnement intellectuel, créatif et artistique datant des calendes de Louis XV. L’heure de la mi-temps a sonné, les pas des élèves endurants pressent le sol, quelques rires fusent dans la cour, des affiches tapissent les murs, des figures de légende hantent le lieu de leur fond de culotte, Hervé di Rosa, Ronan Bouroullec, Jean Paul Goude, Camille Henriot, Anette Messager, … Bienvenue au paradis de l’excellence, « liée à un taux de recrutement extravagant», précise le directeur de l’ENSAD.
Tout au long de notre conversation, la verve de notre invité ne tarit pas, véritable puits de culture vivant, Emmanuel n’a de cesse de parler avec des métaphores ou autres figures de styles et citer des auteurs, des artistes, pour être le plus convaincant possible mais surtout poser un autre regard sur «Comment habiter le monde aujourd’hui».
L’Art et la Science, un fauteuil pour deux
L’ENSAD est comme toute école, une institution intergénérationnelle
Car précisément, « l’ENSAD est comme toute école, une institution intergénérationnelle », dont le rôle est de former « une génération talentueuse susceptible de répondre à des problèmes auxquels notre génération n’a pas de réponse». Un lourd patrimoine à gérer, «le legs d’une planète moins habitable qu’auparavant», sachant que l’idée n’est pas de générer des relations conflictuelles, mais de créer des outils pédagogiques, provoquer des rencontres entre la Science et l’Art, puis planter un dialogue savant entre l’intelligence de la main et celle du cerveau. Faire co-exister deux mondes à priori opposés, le sensible et l’intelligible.
Retrouver les vertus de la mesure et de la tempérance
Se réapproprier un récit, un imaginaire parfois désenchanté des scientifiques et le réenchanter, le transcender avec la fleur au fusil de l’artiste ou designer. Dépasser l’opposition entre la raison et la sensibilité, telle est l’ambition du grand lecteur du poète Friedrich Hölderlin : «Retrouver les vertus de la mesure et de la tempérance» dans une ère, l’Anthropocène, où l’Homme oppose pour l’instant Économie à Ecologie, alors que les deux mots ont la même racine Oikos, signifiant maison.
Concrètement, les Arts Déco, mettent au cœur de leur démarche, l’urgence climatique à travers un partenariat avec la Fondation Thalie et la création avec Décathlon d’une chaire dédiée à l’écoconception mais aussi avec le CNOUS, en se demandant «comment repenser et réinventer la chambre d’étudiant de 9M2 à l’échelle 1. Les élèves ont la chance de travailler sur des objets avec de vrais process industriels». Au cœur de leur cursus, les Arts déco font la part belle à la ruralité, en développant Design des Mondes Ruraux, un programme spécifique en Dordogne, de résidence, laboratoire et incubateur. L’inclusivité est aussi au coeur des préoccupations avec la création, avec les Ateliers Médicis, d’une école d’un nouveau genre, La Renverse, accueillant de jeunes créateurs de Seine-Saint-Denis et départements limitrophes, ou le programme Parcours Prépa, qui ensemble permettent d’inventer l’école au plus près des publics éloignés des établissements d’excellence. «28% de nos effectifs étudiants sont aujourd’hui boursiers contre 23 % en 2017 et nous poursuivons les efforts pour nous rapprocher de la moyenne de l’enseignement supérieur, qui est de 38%».
Retour vers le futur, la fabrique des récits et des anachronismes
Le développement, la croissance et l’innovation sont des fausses valeurs
Dans un monde dépourvu de mythologies, Emmanuel Tibloux s’évertue à insuffler sa vision du romantisme: «Les grands anachroniques tels que Picasso ou William Morris ont passé leur temps à chercher dans le passé une autre lecture de la modernité». Notre interlocuteur insiste: «Nous sommes entrés dans une ère de récession». La planète piégée aujourd’hui par la rationalité lui donne raison. «Nous ne pouvons plus croire au dogme du progrès tel qu’on continue de l’entretenir, il faut repenser notre façon de nous situer dans le temps».
Aujourd’hui, comme l’exprimait si bien Hamlet, Le temps est hors de ses gonds et le moment est venu d’en prendre acte. «Le développement, la croissance et l’innovation sont des fausses valeurs».
Les Arts déco sont les Arts de l'habitat et de l'écologie
Le monde dans lequel nous vivons nous pousse à croire en cette religion de l’innovation, tout en s’évertuant à nous séparer du vivant ; C’est pourquoi les arts décoratifs et leur alliance du Beau et de l’Utile prennent tout leur sens aujourd’hui. «La vie est un Art. Habiter est un art, non pas au sens des pages Lifestyle des magazines en papier glacé». Le directeur néo-romantique cite Pierre Loti, Il n’y a d’urgent que le décor, dans le sens où «les Arts déco sont les arts de l’Habitat et de l’Écologie». Le rôle de l’école d’Art a changé, elle est devenue «un lieu de refuge et d’accompagnement», où l’étudiant va « explorer des façons de mettre en question le régime de la surproduction, de moins faire, de rendre le monde plus habitable et plus hospitalier ». L’école a pour vocation, selon Emmanuel, de «former des transformateurs de nos imaginaires et usages». Un beau message d’espoir pour faire renaître de ses cendres l’Humanité, profondément liée à la Nature.
EMMANUEL TIBLOUX. DIRECTEUR DE L’ENSAD
10 secteurs d’enseignement. Art. Espace, Architecture Intérieure, Cinéma d’Animation, Design Graphique, Design Objet, Design Textile et Matière, Design Vêtement, Image Imprimée, Photo/Vidéo, Scénographie.
ENSAD. 31 rue d’Ulm. 75005 Paris
Exposition de Savoir-faire textiles en Méditerranée au MUCEM. Du 16 décembre 2022 au 07 avril 2023.
Mots : Ingrid Bauer
Photos: @alizeebauer
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Emmanuel Tibloux, l’Art (décoratif) de cultiver le Beau et l’Utile
Emmanuel Tibloux, dirige depuis plus de quatre ans la mythique École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. A la proue de son navire, un écosystème de 800 « transformateur·ices » du monde de demain, designers, stylistes, architectes, artistes… Rencontre avec le générateur des acteurs des 2030 Glorieuses.
Comment habiter le monde aujourd'hui?
Il est midi, nous franchissons le seuil de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs, communément appelée les Arts-Déco, lieu de foisonnement intellectuel, créatif et artistique datant des calendes de Louis XV. L’heure de la mi-temps a sonné, les pas des élèves endurants pressent le sol, quelques rires fusent dans la cour, des affiches tapissent les murs, des figures de légende hantent le lieu de leur fond de culotte, Hervé di Rosa, Ronan Bouroullec, Jean Paul Goude, Camille Henriot, Anette Messager … Bienvenue au paradis de l’excellence, « liée à un taux de recrutement extravagant», précise le directeur de l’ENSAD.
Tout au long de notre conversation, la verve de notre invité ne tarit pas, véritable puits de culture vivant, Emmanuel n’a de cesse de parler avec des métaphores ou autres figures de styles et citer des auteurs, des artistes, pour être le plus convaincant possible mais surtout poser un autre regard sur «Comment habiter le monde aujourd’hui».
L’ENSAD est comme toute école, une institution intergénérationnelle
Car précisément, « l’ENSAD est comme toute école, une institution intergénérationnelle », dont le rôle est de former « une génération talentueuse susceptible de répondre à des problèmes auxquels notre génération n’a pas de réponse». Un lourd patrimoine à gérer, «le legs d’une planète moins habitable qu’auparavant», sachant que l’idée n’est pas de générer des relations conflictuelles, mais de créer des outils pédagogiques, provoquer des rencontres entre la Science et l’Art, puis planter un dialogue savant entre l’intelligence de la main et celle du cerveau. Faire co-exister deux mondes à priori opposés, le sensible et l’intelligible.
Retrouver les vertus de la mesure et de la tempérance
Se réapproprier un récit, un imaginaire parfois désenchanté des scientifiques et le réenchanter, le transcender avec la fleur au fusil de l’artiste ou designer. Dépasser l’opposition entre la raison et la sensibilité, telle est l’ambition du grand lecteur du poète Friedrich Hölderlin : «Retrouver les vertus de la mesure et de la tempérance» dans une ère, l’Anthropocène, où l’Homme oppose pour l’instant Économie à Ecologie, alors que les deux mots ont la même racine Oikos, signifiant maison.
Concrètement, les Arts Déco, mettent au cœur de leur démarche, l’urgence climatique à travers un partenariat avec la Fondation Thalie et la création avec Décathlon d’une chaire dédiée à l’écoconception mais aussi avec le CNOUS, en se demandant «comment repenser et réinventer la chambre d’étudiant de 9M2 à l’échelle 1. Les élèves ont la chance de travailler sur des objets avec de vrais process industriels». Au cœur de leur cursus, les Arts déco font la part belle à la ruralité, en développant Design des Mondes Ruraux, un programme spécifique en Dordogne, de résidence, laboratoire et incubateur. L’inclusivité est aussi au coeur des préoccupations avec la création, avec les Ateliers Médicis, d’une école d’un nouveau genre, La Renverse, accueillant de jeunes créateurs de Seine-Saint-Denis et départements limitrophes, ou le programme Parcours Prépa, qui ensemble permettent d’inventer l’école au plus près des publics éloignés des établissements d’excellence. «28% de nos effectifs étudiants sont aujourd’hui boursiers contre 23 % en 2017 et nous poursuivons les efforts pour nous rapprocher de la moyenne de l’enseignement supérieur, qui est de 38%».
Le développement, la croissance et l’innovation sont des fausses valeurs
Dans un monde dépourvu de mythologies, Emmanuel Tibloux s’évertue à insuffler sa vision du romantisme: «Les grands anachroniques tels que Picasso ou William Morris ont passé leur temps à chercher dans le passé une autre lecture de la modernité». Notre interlocuteur insiste: «Nous sommes entrés dans une ère de récession». La planète piégée aujourd’hui par la rationalité lui donne raison. «Nous ne pouvons plus croire au dogme du progrès tel qu’on continue de l’entretenir, il faut repenser notre façon de nous situer dans le temps».
Aujourd’hui, comme l’exprimait si bien Hamlet, Le temps est hors de ses gonds et le moment est venu d’en prendre acte. «Le développement, la croissance et l’innovation sont des fausses valeurs».
Les Arts déco sont les Arts de l'habitat et de l'écologie
Le monde dans lequel nous vivons nous pousse à croire en cette religion de l’innovation, tout en s’évertuant à nous séparer du vivant ; C’est pourquoi les Arts Décoratifs et leur alliance du Beau et de l’Utile prennent tout leur sens aujourd’hui. «La vie est un Art. Habiter est un art, non pas au sens des pages Lifestyle des magazines en papier glacé». Le directeur néo-romantique cite Pierre Loti, Il n’y a d’urgent que le décor, dans le sens où «les Arts déco sont les arts de l’Habitat et de l’Écologie». Le rôle de l’école d’Art a changé, elle est devenue «un lieu de refuge et d’accompagnement», où l’étudiant va « explorer des façons de mettre en question le régime de la surproduction, de moins faire, de rendre le monde plus habitable et plus hospitalier ». L’école a pour vocation, selon Emmanuel, de «former des transformateurs de nos imaginaires et usages». Un beau message d’espoir pour faire renaître de ses cendres l’Humanité, profondément liée à la Nature.
EMMANUEL TIBLOUX. DIRECTEUR DE L’ENSAD
10 secteurs d’enseignement. Art. Espace, Architecture Intérieure, Cinéma d’Animation, Design Graphique, Design Objet, Design Textile et Matière, Design Vêtement, Image Imprimée, Photo/Vidéo, Scénographie.
ENSAD. 31 rue d’Ulm. 75005 Paris
Exposition de Savoir-faire textiles en Méditerranée au MUCEM. Du 16 décembre 2022 au 07 avril 2023.
Mots : Ingrid BAUER
Photos: Alizée BAUER
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