
Sugio Yamaguchi, une cuisine à contre-temps
Après le succès de Botanique, le cuisinier tokyoïte ouvre Wani, un lieu hybridre entre café d’auteur et cuisine de poche. Loin du tumulte des tables à concept, il y cultive une économie du geste, une précision artisanale, et une idée simple : cuisiner ce que l’on aime, avec ceux qu’on aime.
Il est un peu plus de 14 heures quand on pousse la porte de Wani, Rue Saint-Placide dans le très sage 6e arrondissement de Paris. L’endroit est plein, les tables occupées, les assiettes déjà entamées. Et pourtant, aucune cacophonie. Pas de serveurs au pas de course, pas de playlist tapageuse, pas de moulin à parole en cuisine.
Derrière le comptoir, Sugio Yamaguchi prépare un oursin pêché à la bouteille…Mouvement lent, dos droit, regard concentré. On attend. Personne ne s’agace. L’espace lui-même semble avoir été conçu pour cette attente : un comptoir en bois fabriqué par un ami, des gâteaux disposés comme des installations, une vaisselle tournée à la main avec sa compagne. Les murs sont blancs, nus, offerts aux œuvres d’artistes amis. Rien ne crie, tout suggère. Le détail compte, le reste peut attendre.
« Tout le monde sait faire un peu tout. Monter une chantilly, faire mousser le lait, foncer une pâte. Il n’y a pas de rôle assigné. »
« Ce n’est pas un restaurant. Ce n’est pas vraiment un coffee shop non plus. C’est un lieu de vie », résume Sugio, une fois le service calmé. Une phrase que l’on pourrait trouver creuse ailleurs, mais qui, ici prend son poids. Car Wani n’a rien de standard. Pas de hiérarchie visible, pas de division stricte des postes. « Tout le monde sait faire un peu tout. Monter une chantilly, faire mousser le lait, foncer une pâte. Il n’y a pas de rôle assigné. » Les gestes sont modestes, essentiels, mais exécutés avec sérieux.
Sugio n’est pas un inconnu dans le monde de la gastronomie parisienne. Né à Tokyo, formé à Lyon chez Nicolas Le Bec, passé par les cuisines de Pierre Sang à Paris, il avait cofondé en 2015 Botanique, un néo-bistrot du 11e arrondissement rapidement remarqué pour sa cuisine végétale, précise, discrète. Le genre d’adresse que la presse aime appeler « pépite ».
« On ne pèle rien. On ne jette rien. On cuisine tout. »
Mais voilà, au bout de quelques années, Sugio coupe tout. Il quitte la cuisine « J’avais besoin de temps, de distance. Les services, la pression…j’avais envie de revenir à quelque chose de plus simple, de plus juste pour moi. » Il s’éloigne, voyage, cuisine par intermittence à Paris, Taipei, Bangkok, parfois en pleine forêt. C’est au creux de cette période de retrait que nous l’avions rencontré pour la première fois, il y a trois ans, au les jardins de Cheraille à Rambouillet. Il y expérimentait la fabrication artisanale de tofu, avec silence, patience, et l’intuition d’un autre rythme à habiter.
Et c’est de cette période de retrait qu’est né Wani. Ouvert en décembre dernier, le lieu ne ressemble à rien de connu. Ni restaurant, ni café, ni atelier, et pourtant un peu tout à la fois. Ici, pas de menu figé. Le jour dicte le plat. Un radis juste blanchi, une tarte aux pommes faite avec une farine choisie pour sa densité plus que son origine. Le menu change selon les saisons, les arrivages, les envies. Et parfois, il n’y a presque rien. « Si on n’a pas de poisson ce jour-là, on ne va pas aller en chercher au dernier moment. On fait avec ce qu’il y a. »
Les légumes viennent de maraîchers sélectionnés, dont Hélène Reglain, avec qui il travaille depuis des années. C’est elle qui, un jour, lui a raconté le vrai temps qu’il faut pour faire pousser une carotte. Depuis, plus question de gaspiller. « On ne pèle rien. On ne jette rien. On cuisine tout. » Pas pour suivre une mode locavore ou décrocher un label. « Parce que c’est meilleur, tout simplement. » L’écologie ? Il grimace. « C’est devenu un mot de marketing. Moi, je fais ce que j’aime. Si ça touche les gens, tant mieux. Sinon, tant pis. »
« Un deuxième lieu, oui, mais il faut que ça ait du sens »
À l’arrière, il n’y a presque pas de stock. Le lieu est exigu. Tout fonctionne à flux tendu. C’est un choix autant qu’une contrainte. Le mercredi est le jour des livraisons. Quand il n’y a rien, il n’y a rien. Et personne ici ne semble s’en plaindre. Au contraire. Depuis son ouverture, Wani ne désemplit pas. Les habitués reviennent. Le bouche-à-oreille fait son chemin, discrètement. Pas d’influenceurs à l’horizon, pas de formule brunch du week-end. Pas non plus d’extensions prévues. Un deuxième lieu ? Il y pense, doucement. Mais sans urgence. « Il faut que ça ait du sens. »
Alors on revient à ce qui tient : les gestes. Un bouillon infusé pendant des heures. Un café préparé avec soin. Des gâteaux délicieux. C’est beau. Parce que, dans une époque saturée de discours et de vitesse, un lieu où l’on fait les choses lentement, bien, et sans les crier, ça fait du bruit autrement.
SUGIO YAMAGUCHI
Chef et fondateur de Wani
Ex-Botanique
Traits : Discret, précis, curieux, connecté au vivant
WANI
7 ter rue Saint-Placide
75006 Paris
Style : Épuré, local, artisanal
Mots : Jessica Bros
Photographies : Alizée Bauer pour Hum Média
- Publié le :
- Tags : chef, cuisine, locavore, responsable
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