
Samuel Tomatis, marée montante du design
Designer et fondateur d’un studio à double vocation, il explore les potentiels des biomatériaux, notamment les algues, pour repenser nos objets et nos modes de production. Porté par une approche prospective et poétique, il cherche à agir sans se laisser paralyser par l’urgence du monde.
Même ma venue qu’il n’attendait plus (j’ai annulé une première fois notre rendez-vous) n’est pas parvenue à le déstabiliser. Samuel ressemblerait assez à un arbre élancé et solidement planté dans le sol. Il fallait bien cette stature et cet enracinement pour parvenir à saisir ces créatures évanescentes et complexes que sont les algues objets de toutes ses recherches. Aussi microscopiques qu’envahissantes, aussi familières que profondément méconnues. Au sol du studio des grandes planches comme frottées de pigments verts sèchent et exhalent cette odeur tonique, un peu aigre et éminemment connue que pourtant je ne nomme pas immédiatement. Il faut dire que cet atelier extrêmement moderne et épuré au cœur de Paris n’est pas le cadre habituel pour convoquer l’univers marin. Pourtant elles sont bien là partout et comme déclinées à l’infini (couleurs, textures, formes) du sol au plafond.
Samuel est né à Annecy et a grandi à Nice et à Brive. Mais c’est plutôt au cours de ses nombreux séjours en Bretagne qu’il découvre véritablement ce qui va devenir son objet d’étude et sujet de prédilection. Son choix de travailler avec les algues est ainsi né d’une double observation sur le terrain. Cette ressource naturelle et abondante est encore peu exploitée or elle possède des propriétés multiples. Fibres structurelles, polysaccharides et donc gélifiants pour créer des matériaux souples, cellulose pour le papier, pigments pour la teinture, et même métaux lourds utilisables dans l’émail. Une polyvalence dont Samuel découvre encore toute l’étendue dix ans après s’être lancé à son compte comme designer industriel et chercheur en biomatériaux dans la foulée de l’obtention de son diplôme à l’ENSCI.
« C’ETAIT TRES EMPIRIQUE AU DEBUT IL FALLAIT VRAIMENT COMPRENDRE LES CARACTERISTIQUES INTRINSEQUES DE CETTE MATIERE…»
Au-delà de la fierté que représente pour lui ce plébiscite de son travail, Samuel Tomatis y voit avant toute chose la possibilité de continuer à avancer. Il étend ses recherches à d’autres territoires, les Antilles, Madagascar avec l’envie de toujours plus partager ce savoir qu’il a acquis et de le rendre accessible au grand public. En effet, au-delà de l’innovation, Samuel inscrit son travail dans une réflexion éthique et sociale. Son projet à Madagascar, par exemple, vise à former des jeunes en réinsertion au design et à la transformation des algues, pour leur offrir à terme une autonomie économique et professionnelle. Cette dimension sociale prend une place croissante dans son engagement, qu’il considère comme une priorité face aux crises contemporaines. « J’ai l’impression que ma priorité maintenant devient plus d’être engagé dans des luttes sociales que dans des luttes écologiques parce que ça passe d’abord par là. Il y a urgence aujourd’hui donc notre rôle de designer va bien au-delà de dessiner de jolis objets. » Quand on lui demande si la course du monde et l’urgence climatique l’inquiètent il répond d’abord « non » avant de préciser qu’il tient en fait à éviter tout ce qui pourrait finalement l’immobiliser et l’empêcher d’agir.
L’activité de son studio se divise en deux axes : un bureau d’études qui accompagne des entreprises dans la production industrielle ou semi-industrielle, et un volet de design d’auteur où il crée des pièces uniques pour musées et galeries. Une double approche qui lui permet d’allier recherche appliquée et liberté créative.
« LES NORMES D’AUJOURD’HUI SONT ASSEZ DESUETES PARCE QU’ELLES SONT CALQUEES SUR UN MATERIAU PRECIS OU SUR LES MATERIAUX DE L’EPOQUE PETROCHIMIQUE.»
Parmi ses collaborations, quelques grandes enseignes comme Décathlon avec qui il a travaillé sur des scénarios prospectifs à 20 ou 30 ans, explorant comment les transformations sociétales et environnementales influenceront le design des objets et des espaces urbains. Il travaille également avec des marques de luxe, avec lesquelles il se confronte aux enjeux de production et de standardisation des biomatériaux.« Les normes d’aujourd’hui sont assez désuètes parce qu’elles sont calquées sur un matériau précis ou sur les matériaux de l’époque pétrochimique. En fait il n’y a rien sur les biomatériaux. Tout reste à inventer. »
Avec une équipe restreinte mais engagée et dynamique, il continue d’explorer de nouvelles voies pour intégrer toujours plus les algues dans nos quotidiens. Je repars comme rassérénée à l’idée que ces végétaux aquatiques dont je lis par ailleurs qu’« ils ne possèdent ni racines, ni feuilles, ni fleurs, ni vaisseaux, ni graines » pourraient bien recéler cette poésie, cette légèreté et agilité qui nous manquent pour réinventer le monde.
Designer industriel, de la recherche, du développement de nouveaux matériaux, de conseils et expertises en éco-conception ou design fiction.
Mots: Audrey Demarre
Photos: Alizée Bauer pour Hum média
- Publié le :
- Tags : algues, biomatériaux, designer, savoir-faire, vivant
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