Les néo-paysans, un regain à Ibiza
Ibiza est plus connue pour son image “Sex, Drug and Electro” que pour ses fermes agricoles, qui pourtant depuis quelques années, poussent comme des champignons. Non vous n’hallucinez pas, des néo-fermiers s’installent à Ibiza et vivent en marge du monde de la fête, avec pour ambition de renouer avec le vivant. Deux salles, deux ambiances. Nous sommes partis à leur rencontre.
Nous sommes en 1970, quand Jacques Massacrier, un publicitaire décide de quitter Paname avec sa famille. De laisser le monde des paillettes pour une salopette, une chèvre, un potager et une finca des plus sommaires. Dans un manuel réédité récemment, le déserteur raconte, partage, écrit et surtout dessine en 365 planches, comment Savoir revivre. On y trouve, des patrons de robes en lin, des exercices de yoga, des croquis techniques pour fabriquer un puits, faire pousser des légumes, selon la lunaison, etc… retrouver et épouser le cycle de la nature. Une vraie leçon de vie, pour ce rebelle, qui sans le savoir, allait créer une descendance de néo-fermiers. En 1975, la démocratie en Espagne renaît de ses cendres à la mort de Franco, et fait sa révolution culturelle avec la Movida. Bizarrement Ibiza a eu le vent en poupe, poussée par Franco, qui a décidé d’y construire un aéroport et de développer l’île blanche comme une perle touristique pour remédier à la très grande pauvreté des ibicencos.
« La nature est notre plus grande mère et enseignante »
Aujourd’hui, l’île connaît un certain regain d’intérêt pour l’agriculture biologique et durable. Renouer avec les pratiques ancestrales agricoles, mixées aux outils modernes, fait naître une nouvelle scène de néo-farmers ou néo fermiers, si on veut éviter l’anglicisme à tout va. Sur les réseaux, des communautés s’organisent, comme Tierra Iris qui, tous les jeudis, proposent des “Farm Day”. Deux heures pour apprendre le vivre ensemble, comment devenir auto-suffisant ou comment nourrir la terre et la régénérer. Chaque membre est même invité à apporter son propre compost. En misant sur l’agriculture du vivant ou « syntropique », en d’autres termes, dont la méthode se base sur le processus naturel de la régénération des écosystèmes, Tierra Iris est devenue le terreau d’une nouvelle ère d’agriculture holistique. Leur précepte : « la nature est notre plus grande mère et enseignante ». Le retour à l’essence de la Terre et à son rôle de guérisseuse, tel est le mantra de cette nouvelle génération de paysans.
Quant à Terra Masia, elle est une des premières fermes agroécologiques à avoir vu le jour à Ibiza. Cette écofinca est gérée par la truculente Marina Morán Jou, issue d’une famille d’agriculteurs en Espagne et chargée de développer, restaurer les variétés locales d’Ibiza et de Formentera, à travers le programme LEADER. Plus qu’une rumeur, le DJ Calvin Harris ferait partie des investisseurs chanceux de cette terre promise. Les tabloïds s’emparent de l’information et créent le buzz… La mannequin Arizona Muse, qui a créé l’ONG Dirt visant à préserver la santé des sols dans le monde, se retrouve aussi sur le devant la scène en tant que que gardienne d’une agriculture régénératrice. L’année dernière pendant la première foire d’art contemporain, Can Art Ibiza, Gucci recevait le monde de l’art attablé dans les vignes… Quand le monde du luxe rencontre le monde rural… Mais revenons à nos moutons, accompagné par Philippe Gandler, le headfarmer de Terra Masia, nous foulons les 56 hectares, où caquètent des poules pondeuses, ronchonnent des cochons noirs et où s’épanouissent des milliers de variétés de légumes, de fleurs et d’arbres. La plupart sont dédiées aux restaurants de l’île mais aussi au public, qui peut venir acheter sa cagette de produits récoltés le matin même. Les variétés anciennes sont mises à l’honneur, mais l’approvisionnement en eau reste au cœur de toutes les problématiques. Pour éviter au maximum de vider les nappes phréatiques, Terra Masia utilise des techniques ancestrales, pour contenir l’humidité du sol, comme la laine, la paille ou l’estiercol (fumier d’animaux) disposés autour des arbres.
« Chaque produit a une histoire »
Quant à la ferme Juntos Farm, qui a vu le jour en 2022 après six ans de labeur, elle s’articule autour d’une agriculture plus paysanne, s’attaquant spécifiquement à la régénération des espèces endémiques. « Nous avons planté des genévriers et plus de 3 000 amandiers sur 40 hectares, dans le cadre d’un programme de régénération de la vallée des amandiers à Santa Inès. » La jeune entrepreneuse, Sophie Daunais, qui fait équipe avec son ex-mari, souhaite, en quittant la City de Londres pour Ibiza, bâtir « un projet sans ego qui transcende nos vies ». La néo-paysanne qui prône le collectif a organisé un festival des amandiers et des dîners éphémères dans la forêt avant de finalement ouvrir son restaurant Juntos House qui met en valeur l’écoresponsabilité.
« Chaque produit a une histoire » dit-elle. Petite fille d’agriculteur, son petit accent canadien nous charme. Elle nous raconte que, feu son grand père lui avait prédit son avenir sans le savoir en la sommant d’acheter une ferme et de vivre à la campagne. Quinze ans plus tard, elle se retrouve avec son fils à la tête de trois fermes, un restaurant (De la ferme à l’assiette) ressemblant à une petite place de village, où entre amis on trinque aux nourritures terrestres, et dernièrement un concept-store écoresponsable.
Dernier rejeton dans cette course folle à l’agriculture vertueuse : Can Cristofol. Ce nouveau venu, à l’esprit bohême, ouvre ses portes il y a deux ans et est d’ores et déjà sur les marches du podium, car fournisseur officiel des deux meilleurs écotables de l’île, Hambre à Santa Eulalia et Nudo à Es Figueral. Installé au cœur d’une communauté d’agriculteurs, la vallée de Morna, où fleurissent orangers et avocatiers, Youri s’évertue à faire pousser et récolter le meilleur des fruits de la terre. Son chutney de citrons est une légende incarnée. Okras, pastèques, courgettes, salades de fleurs, avocats, tomates, basilic pourpre, melons espagnols, et tant d’autres ornent avec délicatesse et joie cette mini-épicerie, ancienne fonda (restaurant-épicerie), pour le plus grand plaisir des hippies gourmets.
Une nouvelle génération de paysans tend à éclore, et avec eux des lieux à l’avenant : fermes, agrotourisme, écoles alternatives, etc. Le podcast Amar la Tierra se fait l’écho de cette communauté agricole baléarique, à travers des histoires et autres témoignages de pratiques positives et inspirantes. La preuve par 5 que spiritualité et ruralité font bon ménage et concurrencent désormais l’image trop festive et décadente d’Ibiza. Pourvu que ça dure !
Mots : Ingrid Bauer
Photos : Alizée Bauer
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