Le beau est-il dans la nature?
Telle est la question posée, au paysagiste Camille Muller, rencontré à Paris, dans son potager (du roi) jouxtant le cimetière du Père-Lachaise à l’Est d’Eden, à Jean Mus, l’artisan aux 2300 jardins et à la journaliste spécialisée dans la biodiversité, Stacy Algrain.
« LA BEAUTE DU VIVANT, DE QUOI PARLE T-ON, QUE SE CACHE T-IL DERRIERE? »
Direction Paris, où le mardi 21 novembre se tenait une conférence sur la préservation du vivant, ode à la biodiversité. Une proposition de la Galerie Larock Granoff en collaboration avec Les Napoléons. Trois femmes engagées dont Stacy Algrain, cofondatrice de la newsletter sur la biodiversité, La Corneille, font part de son expérience. Souhaitant insuffler le message (de la préservation du vivant) auprès d’un plus grand nombre et notamment dans les entreprises, Stacy s’est lancée dans une formation en botanique. Car pour la botaniste en herbe, on ne peut s’arrêter au simple constat de la beauté du vivant, la question doit être posée : « De quoi parle-t-on, que se cache-t-il derrière? » Cette notion de méconnaissance du vivant, la plupart des paysagistes y est confronté. « Cette absence de connaissance en botanique ne permet pas de nouer de relation à la nature. On ne peut parler du règne du vivant, en ignorant le nom de chacune des figures mères. » La mission de tout jardinier est de : « vivre les jardins », tout en collaborant avec la nature, « renouer et apprivoiser le vivant », comme le souligne Hugues Peuvergne, lors de son entretien à la Grande Librairie, ancien lauréat du Festival des Jardins de Chaumont, pour son Jardin de pailles en l’an 2000.
« J’AI L’ÂME D’UN ANIMISTE. JE ME SENS EN LIEN AVEC LA NATURE. (…) JE SUIS RÉVOLTÉ PAR L’HUMANITÉ, CAR JE PENSAIS QUE TOUT LE MONDE AVAIT L’INSTINCT DU VIVANT. »
Ce n’est pas Camille Muller, cet ancien fils et petit-fils d’ingénieur agronome qui va nous contredire. Une enfance quelque peu difficile à Colmar, avec un père caractériel et une incompréhension de ses voisins, quant à leur mode de vie. « Nous étions la risée du quartier, quand nous rapportions du petit bois de la forêt. » Porté par « une sorte d’instinct d’être dans la nature », Camille ne se laisse pas intimider et après une scolarité dans un lycée agricole, se réfugie très jeune, dans l’horticulture, devenu son jardin secret. Il fait ses classes auprès de Gilles Clément. Le travail du jeune apprenti est d’ores et déjà remarqué voire remarquable par son professeur. Camille rit de l’appréciation à son égard : « un agréable fouillis, persévérez ». Puis toujours les mains dans la terre, il rejoint l’équipée sauvage du parc botanique du Château d’Apremont. Là-bas, il apprend les bonnes manières, il aiguise sa pratique, sa façon de voir et de penser les jardins. « En 1979, je fais un jardin de mousse, mon premier biotope. » Dans un sourire, Camille souffle qu’à l’époque c’était un peu sans le savoir, il y a 10 ans, quand il entend le mot résilience, tout s’éclaire. Depuis ses débuts, ce jardinier hors pair, s’attache à faire corps avec la nature, à ne pas la dénaturer, au contraire, semer du désordre, du beau chaos et réensauvager les balcons, les terrasses, les terrains de jeux des maisons de vacances… « J’ai l’âme d’un animiste. Je me sens en lien avec la nature. Je suis très idéaliste. Je suis révolté par l’humanité, car je pensais que tout le monde avait l’instinct du vivant. » Même si Camille parait quelque peu désabusé, il continue à aimer les gens, sans les juger, continue à apporter sa note de sauvage structuré. « Je structure l’espace, en plaçant les masses de plantes de manière informel. Je crée un cadre, une perspective, je construis pour déconstruire. Après c’est la jungle. » Discret, il l’est, à l’image de ses paysages formés par une nature abondante, avec laquelle il collabore avec joie. Un souvenir de chantier. Nous sommes sur l’île d’Ulysse, à Ithaque. 7 hectares de vallées et restanques, où il veille au grain, réduit au maximum ses interventions ; conserve 80% du paysage existant, une prouesse… Il taille les lentisques sauvages, préserve un hectare de cistes sculptés par les embruns et respecte la topographie du site naturel. Les autres plantes choisies ont un cahier des charges précis, s’adapter au climat méditerranéen et aux différents biotopes ou écosystèmes du terrain. Quelques écogestes… La création de mulch ou paillis pour éviter l’évaporation et la croissance des mauvaises herbes, la mise en place de réservoirs pour recueillir l’eau de pluie et des canaux d’irrigation dont l’arrosage s’amenuise avec le temps. Le soleil couchant caresse le potager, l’échelle du jardinier et dans la petite cabane de jardin, un lit, un plaid, une bibliothèque font la pause, pendant que Camille prend la pose, sous mon œil aguerri de photographe. Les confidences côté cour et jardin s’achèvent : « j’étais un enfant rebelle mais de manière pacifique. C’est mon côté ensauvagé. »
« LE JARDINIER EST UN PACIFISTE, LE CULTIVATEUR, UN PROFITEUR »
Nous sommes à Chaumont-sur-Loire, baignés par la nature, en compagnie du fameux paysagiste Jean Mus. « Cela fait 50 ans que je fais du paysage.» Ce dernier nous invite à regarder « notre entourage » (ce qui nous entoure), écouter le son des oiseaux, sentir le chant du lac… « Ici on ne taille pas à tout va, on laisse la nature vivre son temps.» On a oublié le rythme des saisons, chassé les espèces endémiques, tué la biodiversité. Ce philosophe aux 2300 jardins a vu le triste dessein de la planète et son déclin éclore sous ses yeux… « Je suis pire qu’écolo, je n’aime pas qu’on fasse mal à la nature ». « Pourquoi continue-t-on à donner le mauvais exemple, en taillant les plantes, en voulant dominer, contrôler la nature? », scande avec véhémence le jardinier-artisan et tapant du poing sur la table, tant sa colère rassure-t-il est « saine » mais grande. Ayant collaboré avec Francis Hallé à l’Arboretum de Montpellier, ce travailleur acharné compare le jardinier à un écologue, « il travaille avec la condition du milieu naturel. ». Issue du monde des jardins, son regard porté sur le climat, le comportement des gens et leur gestuel, a toujours été clairvoyant, « le jardinier est un pacifiste, le cultivateur, un profiteur. »Il appelle à la révolution du Romantisme, au retour à la poésie à la sagesse de la campagne « quand on est déconnecté, on a peur », à la vraie reconnexion à la nature. « Faire participer les plantes endémiques, utiliser des ressources locales et territoriales, afin de redonner sa propre identité au lieu qu’on rend visite », s’adapter au nouveau paradigme de notre société et fuir les « mots bidons », « goutte à goutte », « arrosage automatique » etc. bref, revenir à l’essentiel car n’oubliez jamais, chassez la nature, elle revient au galop.
Au-delà du travail ou de la mission de nos instigateurs-protecteurs qui s’attachent à réconcilier l’homme avec le vivant, à travers leurs jardins. Parler de la beauté de la nature va de pair avec notre mémoire collective. Tournons-nous vers nos ancêtres, qui détiennent les clés du savoir, mais aussi vers les peuples autochtones. Grâce à leur conscience des plantes et de l’univers, ce sont eux les gardiens de la forêt, les jardiniers de notre monde. Les mots de Gilles Clément résonnent… « Le fait que le jardin soit un territoire mental d’espérance n’est pas douteux : planter une graine dans le sol c’est attendre demain avec espoir. »
Élève de Gilles Clément. Dès les années 1980, il travaille pour de nombreux artistes et esthètes : César, Peter Klasen, Marithé+François Girbaud, la famille Rothschild.
Bibliographie: Les Mains dans la terre.
Jean Mus. Diplômé de l’École Nationale du Jardin et du Paysage de Versailles Affilié à la Fédération Française du Paysage.
Bibliographie : Axel Vervoodt. Portrait of Interiors.
Mots & Photos : Ingrid Bauer
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- Tags : biodiversité, nature, paysagistes, vivant
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Le beau est-il dans la nature?
Le beau est-il dans la nature? Telle est la question posée, au paysagiste Camille Muller, rencontré à Paris, dans son potager (du roi) jouxtant le cimetière du Père Lachaise à l’Est d’Eden, à Jean Mus, l’artiste aux 2300 jardins et à la journaliste spécialisée dans la biodiversité, Stacy Algrain.
« La beauté du vivant, de quoi parle-t-on, que se cache-t-il derrière? »
Direction Paris, où le mardi 21 novembre se tenait une conférence sur la préservation du vivant, ode à la biodiversité. Une proposition de la Galerie Larock Granoff en collaboration avec les Napoléons. Trois femmes engagées dont Stacy Algrain, co-fondatrice de la newsletter sur la biodiversité, La Corneille, fait part de son expérience. Souhaitant insuffler le message (de la préservation du vivant) auprès d’un plus grand nombre et notamment dans les entreprises, Stacy s’est lancée dans une formation en botanique. Car pour la botaniste en herbe, on ne peut s’arrêter à seulement le constat de la beauté du vivant, la question doit être posée : « De quoi parle-t-on, que se cache-t-il derrière? ». Cette notion de méconnaissance du vivant, la plupart des paysagistes y est confronté. « Cette absence de connaissance en botanique ne permet pas de nouer de relation à la nature. On ne peut parler du règne du vivant, en ignorant le nom de chacune des figures mères. ». La mission de tout jardinier est de : « vivre les jardins », tout en collaborant avec la nature, « renouer et apprivoiser le vivant », comme le souligne Hugues Peuvergne, lors de son entretien à la Grande Librairie, ancien lauréat du Festival des Jardins de Chaumont, pour son Jardin de pailles en l’an 2000.
« J’AI L’ÂME D’UN ANIMISTE. JE ME SENS EN LIEN AVEC LA NATURE. (…) JE SUIS RÉVOLTÉ PAR L’HUMANITÉ, CAR JE PENSAIS QUE TOUT LE MONDE AVAIT L’INSTINCT DU VIVANT. »
Ce n’est pas Camille Muller, cet ancien fils et petit-fils d’ingénieur agronome qui va nous contredire. Une enfance quelque peu difficile à Colmar, avec un père caractériel et une incompréhension de ses voisins, quant à leur mode de vie. « Nous étions la risée du quartier, quand nous rapportions du petit bois de la forêt ». Porté par « une sorte d’instinct d’être dans la nature », Camille ne se laisse pas intimider et après une scolarité dans un lycée agricole, se réfugie très jeune, dans l’horticulture, devenu son jardin secret. Il fait ses classes auprès de Gilles Clément. Le travail du jeune apprenti est d’ores et déjà remarqué voire remarquable par son professeur. Camille rit de l’appréciation à son égard : « un agréable fouillis, persévérez ». Puis toujours les mains dans la terre, il rejoint l’équipée sauvage du parc botanique du Château d’Apremont. Là-bas, il apprend les bonnes manières, il aiguise sa pratique, sa façon de voir et penser les jardins. « En 1979, je fais un jardin de mousse, mon premier biotope ». Dans un sourire, Camille souffle qu’à l’époque c’était un peu sans le savoir, il y a 10 ans, quand il entend le mot résilience, tout s’éclaire. Depuis ses débuts, ce jardinier hors pair, s’attache à faire corps avec la nature, à ne pas la dénaturer, au contraire, semer du désordre, du beau chaos et réensauvager les balcons, les terrasses, les terrains de jeux des maisons de vacances… « J’ai l’âme d’un animiste. Je me sens en lien avec la nature. Je suis très idéaliste. Je suis révolté par l’humanité, car je pensais que tout le monde avait l’instinct du vivant ». Même si Camille parait quelque peu désabusé, il continue à aimer les gens, sans les juger, continue à apporter sa note de sauvage structuré. « Je structure l’espace, en plaçant les masses de plantes de manière informel. Je crée un cadre, une perspective, je construis pour déconstruire. Après c’est la jungle. » Discret, il l’est, à l’image de ses paysages formés par une nature abondante, avec laquelle il collabore avec joie. Un souvenir de chantier. Nous sommes sur l’île d’Ulysse, à Ithaque. 7ha de vallées et restanques, où il veille au grain, réduit au maximum ses interventions; conserve 80% du paysage existant, une prouesse… Il taille les lentisques sauvages, préserve un hectare de cistes sculptés par les embruns et respecte la topographie du site naturel. Les autres plantes choisies ont un cahier des charges précis, s’adapter au climat méditerranéen et aux différents biotopes ou écosystèmes du terrain. Quelques éco gestes… la création de mulch ou paillis pour éviter l’évaporation et la croissance des mauvaises herbes, la mise en place de réservoirs pour recueillir l’eau de pluie et des canaux d’irrigation dont l’arrosage s’amenuise avec le temps. Le soleil couchant caresse le potager, l’échelle du jardinier et dans la petite cabane de jardin, un lit, un plaid, une bibliothèque se posent, pendant que Camille prend la pause, sous mon œil aguerri de photographe. Les confidences côté cour et jardin s’achèvent : « j’étais un enfant rebelle mais de manière pacifique. C’est mon côté ensauvagé. »
« LE JARDINIER EST UN PACIFISTE, LE CULTIVATEUR EST UN PROFITEUR »
Nous sommes à Chaumont sur Loire, baignés par la nature, en compagnie du fameux paysagiste Jean Mus. « Cela fait 50 ans que je fais du paysage ». Ce dernier nous invite à regarder « notre entourage » (ce qui nous entoure), écouter le son des oiseaux, sentir le chant du lac… « Ici on ne taille pas à tout va, on laisse la nature vivre son temps ». On a oublié le rythme des saisons, chassé les espèces endémiques, tué la biodiversité. Ce philosophe aux 2300 jardins a vu le triste dessein de la planète et son déclin éclore sous ses yeux… « Je suis pire qu’écolo, je n’aime pas qu’on fasse mal à la nature ». « Pourquoi continue-t-on à donner le mauvais exemple, en taillant les plantes, en voulant dominer, contrôler la nature? », scande avec véhémence le jardinier-artisan et tapant du poing sur la table, tant sa colère rassure-t-il est « saine » mais grande. Ayant collaboré avec Francis Hallé à l’Arboretum de Montpellier, ce travailleur acharné compare le jardinier à un écologue, « il travaille avec la condition du milieu naturel. ». Issue du monde des jardins, son regard porté sur le climat, le comportement des gens et leur gestuel, a toujours été clairvoyant, « le jardinier est un pacifiste, le cultivateur, un profiteur ». Il appelle à la révolution du Romantisme, au retour à la poésie à la sagesse de la campagne « quand on est déconnecté, on a peur », à la vraie reconnexion à la nature. « Faire participer les plantes endémiques, utiliser des ressources locales et territoriales, afin de redonner sa propre identité au lieu qu’on rend visite », s’adapter au nouveau paradigme de notre société et fuir les « mots bidons », « goutte à goutte », « arrosage automatique » etc. bref, revenir à l’essentiel car n’oubliez jamais, chassez la nature, elle revient au galop.
« PLANTER UNE GRAINE DANS LE SOL C’EST ATTENDRE DEMAIN AVEC ESPOIR »
Au-delà du travail et la mission de nos instigateurs-protecteurs qui tentent de réconcilier l’homme avec le vivant, à travers leurs jardins. Parler de la beauté de la nature va de pair avec notre mémoire collective. Tournons-nous vers nos ancêtres, qui détiennent les clés du savoir, mais aussi vers les peuples autochtones. Grâce à leur conscience des plantes et de l’univers, ce sont eux les gardiens de la forêt, les jardiniers de notre monde. Les mots de Gilles Clément résonnent… « Le fait que le jardin soit un territoire mental d’espérance n’est pas douteux : planter une graine dans le sol c’est attendre demain avec espoir. »
Elève de Gilles Clément. Dès les années 80, il travaille pour de nombreux artistes et esthètes : César, Peter Klasen, Marithé+François Girbaud, la famille Rothschild.
Bibliographie: Les Mains dans la terre.
Jean Mus. Diplômé de l’École Nationale du Jardin et du Paysage de Versailles Affilié à la Fédération Française du Paysage.
Bibliographie : Axel Vervoodt. Portrait of Interiors.
Mots & Photos : Ingrid Bauer
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